Sonia et l’Amour des femmes : Saphisme(s) de cinéma


La complice de Bilitis, Sappho mot à mot.


Nous voilà, toi et moi, toi contre moi, face à face, dans une glace, dans un lit d’interdit, pas d’agonie. Ma banquière (une pensée pour Romy Schneider) adorée, tu ne me monnaies pas tes charmes d’enchanteresse (ah, l’indicible douceur de tes fesses), tu m’exhortes, Adèle tout sauf morte, avisée, à m’abandonner (oh, la corolle ouverte de ton bouton de rose wellesien, qui rougit, qui grossit) aux amours mirées des femmes damnées de Baudelaire, derrières à l’air, ma très chère. Auparavant, dans la baignoire imbuvable de Barny, enfilage de saynètes obsolètes à la mode mitterrandienne (Dorcel excelle dans l’absence d’excès), nos ébats pouvaient laisser froid, bien qu’au présent en ligne, ta touffe ornée de mousse m’étouffe toujours, mon amour. Te souviens-tu de l’Amérique lubrique et psychogénique, quand nous roulions en vie et en esprit, conductrices sadiennes mortes au monde, ressuscitées par nos péchés d’âmes perdues, de starlettes-parvenues, par notre envie de cinéma, de gloire, de strass, cependant cadavres calcinés sur une paillasse, dans la dramaturgie quantique de David Lynch ? Le ruban de Möbius et de Mulholland se déployait pour nous deux, sous nos yeux, toi avec tes faux airs et tes vrais gants noirs de Gilda, moi avec ma blondeur hitchcockienne de Grace Kelly en plein onanisme désespéré. Comment t’atteindre, pure image de mes tourments narcissiques, incarnés, comment te rejoindre au-delà de la pellicule, de l’écran, du quartier de L.A. où tu te morfondais, prisonnière à la Clouzot ? Il fallut que le film se renverse, que tu tombes à la renverse sur la couche nocturne, entre mes bras si blancs, mes bras d’enfant, notre étreinte dirigée sans feinte par un homme énamouré de ses créatures impures et suprêmes. Démiurgie de la folie, anatomie d’une névrose (ou d’un meurtre avec petite culotte à la clé, précise Preminger), errance à deux sur l’autoroute égarée des rêves brisés.




Oh, retrouve-moi à Berlin, pour une affaire sincère, sérieuse, remplie d’avanies à la Liliana Cavani. Tu sauras ôter ma persona, me guider à travers le maquis de ton buisson ardent, gazon pas si maudit (Demongeot Mylène et Miou-Miou, en tenue de soirée, en déshabillé, dans le paddock de Blier, se galochent sans anicroche). Je te montrerai ma collection de papillons épinglés, ma duchesse, ma bourgeoise, ma Burgonde gironde. Autrefois, nimbées du flou de feu David Hamilton (pauvre con, soupire Flavie Flament, rétive à cet amant, à ses possibles attouchements), nous explorions nos intériorités de mineures en fleurs, à la Proust, en compagnie d’une rousse compagne dont le prénom différait de celui d’Albertine. Nous croquions dans nos clémentines, nos abricots intimes, nous abouchions nos lèvres supérieures et inférieures, et tant pis pour les mères supérieures de malheur à la Ken Russell, à leurs imprécations tellement proches des pâmoisons. Que l’on nous brûle en place publique, scène primitive du spectacle sexuel, que l’on nous dresse désormais, grâce au militantisme acté, une statue de chair avec mariage incorporé (avoir des enfants, jouer à la maman, pourquoi pas, mais seulement avec toi, ma muse avant d’être mon épouse, ma femme libre outre l’anneau à ton doigt, certes pas celui d’O à son sexe asservi, libérateur, mystique et destructeur), ceci nous indiffère, pas vrai ? Laissons à autrui les anathèmes (Dieu, que je t’aime, malsaine !), les commentaires, les avancées procédurières, les régressions de religions. Ce soir, ici et maintenant, plus rien ne compte à part nous, origine du monde dédoublée, épilée, émancipée du souci funeste (reste, reste en moi, murmure l’hétéro Patricia) de la procréation. Entièrement dévouées à nous-mêmes, à cette nuit des maléfices si complices, nous saurons, tu peux en être sûre, atteindre un point de non-retour des amours, une transcendance immanente, présence marrante de l’être fusionné au paraître.




Et tant pis si les garçonnes vachères chopent parfois le blues, si ta main aux doigts fins fichés dans ma blessure mûre, coquillage d’enfantillages mallarméens, ne récolte qu’un ruisseau asséché au lieu d’une rivière de pleurs, d’une fontaine pleine et sereine. Laisse-moi le temps de me souvenir de toi, d’oublier l’amas quotidien de soucis, d’inepties, qui m’éloigne de toi, de moi, qui érode nos désirs et nos empires. Sans jouets d’adultes, triste panoplie en plastique, consumérisme insinué dans notre part la plus privée, prothèse d’impuissance et d’impatience, nous parviendrons à l’unisson, tous les hommes au large, sur notre île en plan large, sur ses draps d’émoi, telles nos sœurs de labeur et d’ardeur devant la caméra en temps réel de Nica Noelle. En vérité, il me tarde de prendre mon temps, de dérober au Temps irréversible et nuisible une poignée d’éternité, de te l’offrir, ma meilleure moitié, en cadeau de pauvre, de nudité, de dénuement riche de sa générosité. À part ces corps qui nous possèdent, nous obsèdent, que possédons-nous, au fond (de notre déréliction) ? Viens, viens, fais-moi venir, fais-moi jouir entre tes coups de langue et de reins qui m’aveuglent, me rendent enfin à l’obscurité sacrée, illuminent la chambre fermée sur sa porte verte de leurs lueurs d’ailleurs ! Nos mains croisées dénouent nos destins, nous réinventent dans l’instant. Un instant, je te prie, ma mie, que je reprenne souffle sous tes baisers d’été parmi tant de cœurs en hiver. Tu me parles de demain, d’une vie à deux, d’une histoire en tandem (j’aime tes cuisses autour de ma taille, la tendre oppression de ta repoussée toison) et je n’aspire qu’au pire, qu’à la déchirure qui me révèle à moi-même, ce feu délicieux que toi seule, tu peux dormir sans crainte, tu pourrais rêver d’une autre, sais initier puis attiser sur chaque centimètre carré de ma peau offerte, en lambeaux et en plaies magnifiées sous tes caresses d’experte en arts martiaux en duo (quelle jolie guerre que celle-ci, sans victimes ni vainqueurs, sans reproches et sans peur).




Au royaume de nos bacchanales pas banales, tu règnes en reine Christine heureusement débarrassée de Christine et ses queens de pacotille pour bobos branchouilles amnésiques de la divine Garbo. Ma gouine mutine, tu t’égosilles, tu gémis, tu te tais transpercée par la flèche pas phallique qui te pique en plein cœur, au creux de ton corps mis à mort dans cette corrida à deux voix (je m’exprime pour et avec toi, ne m’en veux pas). Nos langues et k.d. lang (ou l’hymne symétrique d’Ana Torroja), nos chevelures et un chant luxuriant de luxure délurée. Certains moments, je voudrais te prendre comme un mec, de manière abjecte, dans un parking souterrain à la Orphée, mon Eurydice de caniveau à la cuisse légère (car je sais bien tes incartades, je te les pardonne, va, je te pardonne tout, tout ce qui te rapproche au final de moi). L’angélisme et la perfection ne nous caractérisent, moins encore la sainteté, l’exemplarité. Nous ne représentons que nous-mêmes, en représentation permanente et en démonstration avérée de vérité, nous ne cotisons, ne nous reconnaissons, auprès d’aucune organisation, communauté, y compris LGBT. Il convient de nous comprendre ainsi, de ne pas nous refuser cette indépendance, individualistes jusqu’au bout des ongles non vernis et des mèches entremêlées. Ta sueur, je la savoure ; tes sucs génitaux, je les déguste ; ton mascara, je le massacre avec une douceur infinie, aux limites du supportable. Je préfère mille fois mon impudeur formulée, assumée, à l’offensante, indéfendable, vulgarité de l’époque, dont je me moque, qui me le rend bien. Tu vois ce que je veux dire, tu vis d’innombrables reflets infidèles de notre lien sans égal, vaille que vaille.




Une Loulou à vous rendre jalouse de son marlou d’éventreur, la silencieuse photographe lesbienne du quai des Orfèvres, le (la) médium minaudant dans sa maison diabolique, les biches embourgeoisées de Chabrol, les lèvres ensanglantées de la sublime Delphine Seyrig, vampire de Belgique, les larmes amères de la Petra (pas la bière corse !) de Fassbinder, les nanas en 69 rajoutées pour la Rome selon Guccione, Victor & Victoria, Julie et Lesley Ann, dans le monde cinglé des années 30, Tootsie et Jessica, divorce pas à la noce, Catherine et Susan en prédatrices d’esthétisme publicitaire, Thelma et Louise à toute vitesse vers le grand saut, plongeon en suspension au-dessus du canyon, l’attachement criminel de Jennifer et Gina par Larry et Andy pas encore Lana et Lilly (Wachowski), l’affreux, sinistre postérieur pleurnicheur de Valérie Lemercier, les garçons qui ne pleurent pas (Hilary Swank, cygne de ring), la femme-serpent en diamants du dear Brian, fatalement fatale dans les toilettes du Festival de Cannes, les huit femmes entre elles d’Ozon, osons une chanson, un baiser de cinéma au sol entre l’Ardant et la Deneuve, un été de l’amour entre les filles fleuries de Paweł Pawlikowski, les enlacements de trois succubes chorégraphiés sur un seul lit par le sulfureux Brisseau, Sappho (kisses à la russe) ma non troppo et Vicky ou Cristina à Barcelona, les assoiffées sanguines teutonnes nichées dans la nuit, l’oiseau noir (Barbara se marre) de Natalie Portman, danseuse de soupirs presque transalpins, les naïades océanes de Lupin magnanime et la Carol so vintage de Cate, VRP australienne et glamour d’Armani. Que dis-tu de cet échantillon d’une chronologie, que penses-tu de nos doubles au miroir du hasard, de la salle en cristal qui songe et renonce souvent à nous peindre telles que nous nous sentons, charnelles, plurielles, ordinaires, passagères, étoiles filantes et fortes au ciel plus vraiment hégémonique de l’hétérosexualité ?




Lorsque je dis nous, je pense aux millions comme nous et avant tout à toi et moi, permets-moi cette focalisation entre maîtresses dépourvues de bonnes comploteuses et assassines à la Genet, allez. Sur l’écran incandescent de nos nuits insomniaques, d’autres images, davantage radicales, surgissent à dessein, à la hauteur de tes seins, de ton sourire, de tes spasmes. Actrices et réalisatrices, devant et derrière l’objectif, nous assistons à une avant-première, pas la dernière, d’un work in progress tressé avec adresse, finesse, tendresse. Mes mots, je te les dédie, j’espère qu’ils t’amuseront, te feront réfléchir, titilleront ton émotion, quitte à ce que tu ne les comprennes pas, que tu te méprennes sur mes intentions. La prison, la raison, les chaînes sentimentales, conjugales, le chantage d’un otage, je délaisse volontiers ces banalités intéressées à celles qu’elles intéressent. Dans ma lettre d’amour, je n’implore aucun secours et surtout pas ta clémence. Un jour, tu partiras ; un soir, je te quitterai. Je le sais parfaitement, je ne le devine que trop, comme une ombre qui me suit, infectée de chagrin. Néanmoins je ne veux cesser de vivre, d’écrire, de te louer, de t’aimer, mon étrangère, ma guerrière à la Xena (déguise-moi en Gabrielle pucelle), ma fille et ma femme, ma mère et mon amie, de cœur, de fureur, de grâce dégueulasse. Lovons-nous, je te prie, je t’en prie, encore une heure, un quart d’heure de discrétion, pas de célébrité, de revendication, de camelote, de prostitution. Nous excitons les mâles, avec nos embrasements ? Grand bien leur fasse, et je ne leur en veux pas (je n’en veux à personne, ni à toi ni à moi de tant dépendre autant de toi). Un mystère demeure dans notre sexualité, qui les sidère, qui les incendie, qui les effraie, qui les défie. Filles du feu, nous prenons feu comme les vieux films d’hier, avant la netteté glacée du numérique, que nous réchauffons avec nos cons (dirait Macha Méril, pas revêche, pas nourrie de métaphores politiquement correctes exsangues de poésie princière) échauffés, humidifiés.



Regarde, ma chérie : dans les volutes survoltées de notre disparition annoncée se donnent à lire, pour qui sait croire, percevoir, recevoir, la forme d’une promesse comique et cosmique, quelque chose qui nous dépasse et nous étreint, nous éteint, nous embrasse. Le train du cinéma, du corps à corps de l’extase, ne s’arrête pas, plus, au quai inquiet, inquiétant, du présent, et file sous le tunnel saphique, mélancolique, avec la mortalité à ses trousses. On s’en fout, on en rit, on se retrouve merveilleusement démunies, mon musc dans ta bouche, ton identité de gamine dessalée répandue dans ma parcelle-nacelle. On remettra ça, on s’aimera à nouveau ainsi, promis, avant que l’ultime fondu au noir, navrant nonchaloir, ne vienne souffler la flamme métaphysique, foutrement tarkovskienne, au creux de nos paumes. Le monde se sauvera (ou périra) sans nous, durant l’aube apparue, en train de naître : je veux m’endormir entre tes bras, bercée par tes réguliers battements et le reflux de ton sang vers le point G ou alpha de ma phrase de coda, voilà.
   
                                 

Commentaires

  1. Un billet parfumé comme une ode à la sensualité concoctée en chiffonnade de saveurs !
    "Quelle que fût la puissance de ce jeune homme, et son insouciance en fait de plaisirs, malgré sa satiété de la veille, il trouva dans la Fille aux yeux d’or
    ce sérail que sait créer la femme aimante et à laquelle un homme ne renonce jamais. Paquita répondait à cette passion que sentent tous les hommes vraiment grands pour l’infini, passion mystérieuse si dramatiquement exprimée dans Faust, si poétiquement traduite dans Manfred, et qui poussait Don Juan à fouiller le cœur des femmes, en espérant y trouver cette pensée sans bornes à la recherche de laquelle se mettent tant de chasseurs de spectres, que les savants croient entrevoir dans la science,
    et que les mystiques trouvent en Dieu seul. L’espérance d’avoir enfin l’Être idéal avec lequel la lutte pouvait être constante sans fatigue, ravit de Marsay qui, pour la première fois, depuis longtemps, ouvrit son cœur. Ses nerfs se détendirent, sa froideur se fondit dans l’atmosphère de cette âme brûlante, ses doctrines tranchantes s’envolèrent, et le bonheur lui colora son existence, comme l’était ce boudoir blanc et rose. En sentant l’aiguillon d’une volupté supérieure, il fut entraîné par delà les limites dans lesquelles il avait jusqu’alors enfermé la passion. Il ne voulut pas être dépassé par cette fille qu’un amour en quelque sorte artificiel avait formée par avance aux besoins de son âme, et alors il trouva, dans cette vanité qui pousse l’homme à rester en tout vainqueur, des forces pour dompter cette fille ; mais aussi, jeté par delà cette ligne où l’âme est maîtresse d’elle-même, il se perdit dans ces limbes délicieuses que le vulgaire nomme si niaisement les espaces imaginaires. Il fut tendre, bon et communicatif. Il rendit Paquita presque folle."
    Histoire des Treize, La Fille aux yeux d'or (1835).H de B
    Françoise Dorléac - La fille aux yeux d'or
    https://www.youtube.com/watch?v=rhlB_W_6bcY

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    1. Honoré ? Laforêt !
      https://www.youtube.com/watch?v=V8nNEtoR6NU&t=1s
      Sur la regrettée FD :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/07/cul-de-sac-rob-roy.html

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