My Sweet Pepper Land : L’Ordre et la Morale


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Hiner Saleem.


Cette co-production franco-allemande (remarquons le nom de Robert Guédiguian, la participation de la TV nationale) filmée-éclairée (en numérique) sans génie particulier, sans paresse scolaire, se suit aimablement, privée de surprise(s) mais pourvue de plaisir, jusqu’à sa jolie fin sereine et symbolique (visez-moi cet arbre au milieu du désert, en promesse d’avenir, de lendemains meilleurs). La belle coda vaut à elle seule le détour et le visionnage : les amants enfin rendus à leur solitude pacifiée (par les armes, certes) s’appellent sans se voir et (se) sourient sous la pluie (Golshifteh Farahani & Korkmaz Arslan forment un appréciable tandem de cinéma, bien secondés par Tarik Akreyi en méchant magnanime puis impitoyable). Davantage que via une imagerie (une panoplie mise à jour) superficielle disons délocalisée (après tout, il existe aussi des westerns teutons, non, et Winnetou ne dira pas le contraire), Mon doux pays poivré (goûteuse contradiction douce-amère) retrouve les terres américaines par son questionnement sur l’établissement d’une loi commune, par-delà (le bien et le mal, martèle Nietzsche avec son marteau de philosophe épris de chevaux battus) une morale de clan, d’ascendant, de trafiquant(s) – quel équivalent, d’ailleurs, pour éthique en Kurde ou en Arabe ? Allez savoir... Interrogation suivante – comment un ancien combattant du jeune Kurdistan indépendant va-t-il instaurer à la frontière turque, dans une bourgade de « non-droit », de passe-droits, d’emprise ancestrale (par le patriarche Aziz Aga), le règne du code pénal (son avatar local), homme fier mais sans étoile, flic récalcitrant flanqué d’un adjoint vaillant et pourtant outré par son entêtement ?



Vous le saurez au terme de quatre-vingt-cinq petites minutes un peu étirées quand même, ou vous le devinerez bien plus tôt, le métrage, structuré, rythmé « à l’américaine » (aucun temps estampillé mort, nulle digression panthéiste ou autre), conduit par l’histoire (co-scénario d’Antoine Lacomblez, collaborateur d’Arcady, aïe) à défaut des personnages, spécialité européenne ou cosmopolite (manichéisme pratique et réducteur, je l’avoue, je le pratique pour aller vite et en me basant sur la qualité de silhouettes ou d’arrière-plan des caractères secondaires), ne déraillant jamais, tant mieux, tant pis, de son programme attendu, de son aspect un peu trop propre sur lui, aptes à convaincre un public a priori effarouché par le cadre, la nationalité, les subtilités de la géopolitique impliquée (des guerrières, Kurdes de Turquie, à ne pas confondre avec leurs homologues d'Irak, vous suivez toujours ?, viennent se ravitailler en vivres et médicaments, pas périmés ou hors de prix, merci, avant de dénouer le conflit principal, justes ou vindicatives représailles à la perte de l’une des leurs, à coup de kalachnikov d’occasion dans un bain de sang bienveillant, épisode express de l’interminable « guerre des sexes » sous toutes les latitudes). Le réalisateur, hélas, ne possède pas une once de sens de l’espace, un comble lorsque l’on tourne dans de tels paysages propices à une appréhension visuelle, sensorielle et sensuelle du monde, au miroir horizontal, panoramique et hors-champ du cinéma (je renvoie vers Anthony Mann et particulièrement L’Appât, James Stewart & Janet Leigh en matrice apocryphe du couple de célibataires urbains supra). Non, Saleem (également auteur d’une autobiographie à l’intitulé explicite, Le Fusil de mon père) ne joue pas les Leone (du reste, chez le Romain taquin, le romantisme passait par la prostitution de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest ou le viol d’Elizabeth McGovern dans Il était une fois en Amérique, pain béni ou rassis pour les psys ou les critiques féministes), encore moins les Tarantino (vade retro, vautour de vidéo-club) ou les Kim Jee-woon (signataire du raté Le Bon, la Brute et le Cinglé), bien que son Baran se débarrasse des « empêcheurs de tourner (ou baiser) en rond » avec la vélocité féroce d’un Bronson, architecte-vigilante notoire à New York selon Michael Winner.


Plus simplement, et avec une vraie tendresse respectueuse pour son pays, pour ses habitants, il nous narre une romance (présentée à Cannes, primée à Cabourg, mon amour) sur fond de violence (rurale, à la capitale), d’émancipation (pressions masculines, machistes, mercantiles, rayez la mention inutile) collective (la tradition) et personnelle (la famille), débutant par une pendaison (sinistre, drolatique, sur pupitre électoral) et s’achevant par une union (des corps et des esprits, des sexes et des institutions de la patrie, police et enseignement), correction d’élection, consentante, désirante, du mariage arrangé, en reflet, maternel ou paternel. Comme L’Estaque vu in situ, le Kurdistan light et de « genre » devient une toile de fond pittoresque, un peu grotesque (le bras droit du despote, moustachu in fine doublement exécuté), pour le déploiement modeste d’un conte (de fées orientales) un brin inoffensif consacré aux possibles d’un territoire, d’un « vivre ensemble », en lieu et place de l’émergence d’un cinéma singulier, adulte et radical, loin des standards dramaturgiques et temporels dominants, à l’Est ou à l’Ouest. Devant le commissariat, une altercation chevaline subite et incompréhensible, calmée illico par le héros alerté par le cri de l’héroïne, représente quasiment une métonymie animale et figurative de ce plat de cinéma un peu trop doux et pas assez épicé. Que nous réserve Hiner Saleem (caméo méta en photographe), réfugié italien (pas un fan de Saddam Hussein, so), résident français (grade honorifique attribué), dans les proches années, de préférence libéré des soutiens calibrés (jeu de mots inclus) de la finance occidentale et télévisuelle ?


Donnons-lui le temps (neuvième opus depuis 1998, néanmoins) de réellement nous surprendre, d’affirmer une vraie personnalité, entrevue quelques secondes suprêmes sur le fil en équilibre d’un plan de ville (café nocturne observé en surplomb, à distance antonionienne), d’une prise intimiste d’une chanson d’amour à voix basse, a capella, en mélomane regardant celle que l’on aime déjà, qui tapote irrésistiblement (actrice non « doublée ») sur son exotique hang, instrument d’invention suisse et non « indigène » (on entend itou du Elvis Presley et du André Dassary, diantre !). My Sweet Pepper Land, accessoirement le nom d’une auberge polyvalente (s’y déroule un simulacre de procès), se fréquente avec sympathie et présage, qui sait, de nouveaux mets plus relevés, inquiets, ancrés dans la complexité blessante et enivrante du réel, donc du cinéma, au risque de troquer la candeur générale, de la diégèse et du regard, pour la noirceur lucide d’un coupe-gorge transposable n’importe où, puisque ces lointaines contrées, au final, nous parlent et s’adressent à nous-mêmes, partout et au présent.     


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