Electric Boogaloo : Double Détente


Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de Mark Hartley.
  

À mon père

À Steven Seagal & Jean-Claude Van Damme

Ce que nous écrivions récemment au sujet de Midnight Movies, on pourrait le reprendre presque mot pour mot à propos de Electric Boogaloo, l’impression sur les animations en moins (les interventions se déroulent ici sur un neutre fond noir). Mark Hartley (une pensée incarnée pour la chère Nina classée X) compte donc désormais trois documentaires à son actif, tous dédiés à « l’exploitation » (« niche » de truisme pléonasmique d’un art par « nature » et usage économique, commercial, capitaliste), en Australie, aux Philippines, aux États-Unis, en sus d’une nouvelle version du Patrick de Richard Franklin (auteur de Psychose 2 et Link, deux titres largement sous-estimés à redécouvrir). À l’ère « pressée » du numérique amnésique, nostalgique, en matière de cinéma, a fortiori estampillé « populaire », le récit devient anthologie, les témoignages se substituent aux documents (appelons cela le « syndrome Rashōmon »), l’Histoire (subjective, lyrique, à la Michelet, ou davantage objective, universitaire, leurre transparent à l’opposé d’une possible impartialité) se transforme (ou se dévalue, selon le point de vue critique) en « histoire orale ». Durant cent dix minutes environ, nous assistons, classique construction, à l’érection puis à la chute de la maison Cannon (shalom, Poe), processus remémoré avec une jovialité communicative par ses principaux bâtisseurs, à la notable exception de « l’aigle à deux têtes » (Cocteau à Jérusalem) au sommet, requis par leur propre autobiographie express fabriquée-distribuée peu avant, le Go-Go Boys de Hilla Medalia & Daniel Sivan (participation d’ARTE), apparemment sorte de contrechamp « éloquent » (ils s’y expriment) et raccourci d’un gros quart d’heure (notez les sous-titres évocateurs du diptyque : The Wild, Untold Story of Cannon Films versus The Inside Story of Cannon Films). Dans Electric Boogaloo, après leur refus participatif, les cousins se contentent d’apparaître à la manière de spectres audiovisuels, en avatar du Brian O’Blivion de Vidéodrome : ironiquement et logiquement, une « exhumation » cinématographique passe à présent par un « rendu » télévisuel.



Par-delà sa prolixité avérée en VOST, l’opus impersonnel à plusieurs – Hartley, secondé par Jamie Blanks, compositeur-réalisateur, à la Carpenter, de Urban Legend, Mortelle Saint-Valentin ou du dispensable Long Weekend, épaulé par l’inénarrable Brett Ratner en producteur – pèche par une poignée de points. S’il dépeint avec assez de précision le système de financement mis en place (prévente, notamment lors du Marché du Film à Cannes, package prohibitif, salaire de star ponctuellement stratosphérique, cf. l’obscénité de celui de Stallone, alors réellement Over the Top, achat de droits vidéo, de studios-distributeurs, par exemple les Britanniques de Thorn EMI ou de parcs de cinémas), s’il fait allusion aux accords de distribution avec la MGM (actuellement détentrice du catalogue de la Cannon, juste « retour des choses », pour ainsi dire, n’en déplaise au « snobisme » de Frank Yablans, tandis que la Paramount perçoit de l’argent sur les passages télévisés pour l’Amérique du Nord) ou la Warner, aux frasques de l’escroc Giancarlo Paretti (piégeur du Crédit Lyonnais), s’il explicite la banqueroute de la compagnie (et la séparation des associés) dans le sillage d’une enquête du fisc US, s’il la relie à la Nu Image d’Avi Lerner (un ancien de la firme au C majuscule), à laquelle on doit Expendables : Unité spéciale, Rambo, le remake de Conan le Barbare, tout un innombrable bestiaire sur petit écran à base d’araignées, de crocodiles, de pieuvres, de requins mais également le Bad Lieutenant : Escale à La Nouvelle-Orléans de Werner Herzog, Electric Boogaloo se tait, en revanche, sur l’importance des affiches (délectables, invraisemblables) élaborées par Design Projects, outil premier (dit « d’appel ») de marketing molto « agressif », en effet, sur le rôle de la banque Slavenburg sise aux Pays-Bas, sur le service de vente par correspondance instauré via Videolog au Royaume-Uni (et sur le rachat consécutif des salles par la Virgin de Richard Branson).



Pareillement, il ne développe pas le development hell du projet Spider-Man et garde le silence concernant les concurrents contemporains, la Carolco de Mario Kassar & Andrew Vajna (partenaires de « Sly »), la Full Moon de Charles Band (horreur cheap et sexy), la Hemdale de David Hemmings (oui, oui, celui de Blow-Up, des Frissons de l’angoisse et, derrière la caméra, cette fois, du Survivant d’un monde parallèle, relecture en avion psychopompe, avec Robert Powell, du Dark Carnival en voiture et au féminin de Herk Harvey), la New Line de Bob Shaye (Freddy, ses griffes de jour et de nuit), la Orion (affiliée à la Warner, certes) de Mike Medavoy (items de Woody Allen, James Cameron, Jonathan Demme ou Oliver Stone) et la Troma (traumatisante, consternante ou hilarante, suivant l’humeur de l’heure) de Lloyd Kaufman, comme si la Cannon surgissait dans le paysage des images des années 80 sui generis, par « génération spontanée », « Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur », rajouterait Mallarmé, et non en éclosion d’une germination débutée en Israël par les réalisations de Menahem, bientôt nourrie au savoir-faire et au sens des affaires du sieur Yoram (antécédents du tandem vite dépeints en introduction), favorisée aux States par l’indépendance active, relative, de similaires outsiders, cette absence criante de contextualisation en paraphe du type de discours adopté, à la limite du zapping autarcique. Au risque d’être perçu en spécimen « d’intellectuel » (mon Dieu) old school, de fétichiste du structuralisme (aïe), pour lequel un mot (un plan) se caractérise par sa clarté, voire sa polysémie, ce genre de films s’apparente pour nous à un exercice de montage (trois sur le coup, Hartley inclus) plutôt qu’au déploiement, sinon à la démonstration, d’un regard particulier sur le thème traité. En définitive, il manque, cruellement, négligemment, à Electric Boogaloo et Midnight Movies un œil et une conscience de cinéaste, qu’il convient d’aller chercher, peu importe leur qualité propre, dans les œuvres abordées « au carré » (le cinéma s’auto-documente constamment, le making-of du film en filigrane flagrant ou figuré de la diégèse).



L’aventure de la Cannon, on le sait, s’étend sur une quinzaine d’années, de 1979 à 1996, le « possédé » Godsend de la méconnue Gabrielle Beaumont (pas mal de séries à la TV) en alpha et le Chain of Command de David Worth, avec l’immarcescible Michael Dudikoff, en oméga de DTV. La société s’illustra dans presque tous les « genres » – notion restrictive, purement pragmatique, contestée par nos soins à longueur d’articles –, à l’exception notable du X, en dépit des origines dénudées des « bandes » commercialisées avant l’arrivée du duo, du style Inga, voilà, du succès de scandale de Juke Box (1978, La Fille du puisatier revue, corrigée, déflorée, avortée au pays des oranges, des attentats et des kippas). Elle atteignit son zénith (ou son nadir, affirment les « mauvaises langues ») en 1986, avec pas moins de 43 films au compteur, chiffre qui laisse (pantois) rêveur, surtout aujourd’hui. Elle comptait dans son « écurie » des tempéraments, des figurants, des « icônes » et des météores nommés Martine Beswick (la Sister Hyde du Dr Jekyll transgenre), Sybil Danning (sculpturale Aryenne croisée dans Barbe-Bleue, Les Trois Mousquetaires, Airport 80 Concorde, Hercule, Hurlements 2 ou le Halloween de Rob Zombie), Bo Derek (Orca puis Elle), Lucinda Dickey, Diane Franklin, Laurene Landon (qui, de rage froide, essaie de brûler une VHS, en reprise du geste mémorable de Gainsbourg avec son billet de cinq cents francs pascaliens), Cassandra Peterson, Molly Ringwald (so Pretty in Pink), Robin Sherwood (touriste piégée, scream queen de Blow Out, fille violée, « demeurée », empalée, de l’architecte vigilante à New York), Marina Sirtis ou Catherine Mary Stewart (plus Faye Dunaway en guest star chez Michael Winner, enterré avant d’être interrogé, ses oreilles d’outre-tombe durent siffler à l’écoute de son peu flatteur portrait).



Du côté des messieurs, Richard Chamberlain (curé énamouré, aventurier au rabais), Robert Forster (superbement mélancolique dans le Vigilante de Bill Lustig ou sentimental dans le Jackie Brown du guignolo Tarantino), Elliott Gould (transfuge d’Altman), Dolph Lundgren (mens sana in corpore sano), Franco Nero (surréaliste karatéka transalpin vocalement doublé), John G. Avildsen (« Adrienne ! »), Boaz Davidson (producteur du Dahlia noir), Tobe Hooper (Texan pince-sans-rire), Just Jaeckin (Lady Chatterley m’a tuer) ou Franco Zeffirelli (« Vive Menie et Yorie ! »), sans omettre Charles Bronson ou Chuck Norris (étonnant absent) complètent le générique. Avec empathie et sympathie, Electric Boogaloo les convie quasiment toutes et tous à la danse immobile, statique et rythmée, des réminiscences, des anecdotes, des (rares) acrimonies, des étonnements rétrospectifs. Le sentiment d’amusement domine, la reconnaissance d’ensemble persiste envers une doublette d’épiciers mais aussi de cinéphiles (au sens littéral du terme, qui aime le cinéma, débarrassé des ors suspects de l’auteurisme, du groupuscule, des happy few). À défaut d’apprendre grand-chose, le spectateur épris de « cinéma bis » ou « de quartier » (quelles étiquettes à la con) découvrira que Barbet Schroeder, porté à l’auto-amputation, ne fit pas le même usage de sa tronçonneuse que Sam Peckinpah opérant sur le bureau d’un producteur récalcitrant, que John Frankenheimer sut trouver en Golan un égal, un inside man avec lequel dialoguer en matière de « vrai » métier, qu’il ne suffit pas d’être Juif pour réussir (appartenir) à Hollywood, ni pour naître avec les poches pleines, paresseux poncifs communautaristes à la limite de l’antisémitisme.



Sans jouer au comptable, au sociologue, au technicien, l’échec de la Cannon à Hollywood peut être en partie, à parts réparties, imputé à une gestion aléatoire, hasardeuse (inflation des budgets mal négociée, suprématie envahissante des blockbusters), à un habitus local (l’américanisme cosmopolite de la « capitale du cinéma » occidental), au remplacement progressif d’un support (la bande magnétique) mis à mort par l’hégémonie informatique et son corollaire, une cinéphilie « gratuite » et « vagabonde » en ligne. Coda factuelle de fait divers : Menahem Golan décède en 2014 et Yoram Globus s’occupe, aux dernières nouvelles, d’une chaîne d’environ cent cinquante salles en Israël, reconverti en exploitant rescapé d’un cancer. En 2017, que reste-t-il de la Cannon ? Une expression idiomatique d’argot anglophone usitée afin de désigner une suite de mauvaise valeur (le titre du documentaire, emprunté à un film de 1984 consacré au breakdance), une énergie inexorable, qui sut, jusqu’à un certain point, se jouer des frontières, des différenciations de saison entre l’art et le commerce, les cimes de la stupidité mitoyennes des beaux bas-fonds de l’émotion, un parcours d’amour et de pingrerie, de rêves fidèles et de mégalomanie vite dégonflée (à la Coppola, mettons, histoire de tisser un lien avec un respectable totem), beaucoup de camelote, de flotte, d’amateurisme, de « révisionnisme » soft (Norris le nationaliste gagne-venge le Vietnam à lui seul) ou de pyrotechnie « prophétique » (terrorisme venu d’ailleurs, désormais à demeure), de la générosité (intéressée) tissée à de l’humour guère en velours (Bronson et son karcher de BD dans le Bronx, in fine plus inoffensif et souriant que celui de Monsieur Sarkozy).



Survivent, avant tout, des souvenirs (le singe de Miss Shue, le fauteuil d’une Emmanuelle juvénile, la crosse en nacre de Marion Cobretti, les seins parfaits de Mathilda May, le chaudron d’Allan Quatermain, les jambes inoubliables de la Dunaway bourrée, la machine à écrire géante de Bowie, Karen Black contre Mars, Denis Hopper au Texas, des jumeaux bodybuilders en Barbares, le Petit Chaperon rouge au seuil de la puberté, la Delta Force de Lee Marvin, le parking de Highlander, la tenue immaculée de Dudikoff, John Cassavetes/Gena Rowlands en couple gentiment incestueux, Chuck en naïade armée au ralenti, Lou Ferrigno en Hercule stellaire) et des invites (la Camorra selon Lina, Bo nue et à cru, précédant Brigitte Lahaie pour Claude Alexandre, Isabella Rossellini chez Norman Mailer, Sylvia et son « homme des bois », Kim Basinger et le stetson de Sam Shepard, Lear par Godard, une robe courte de danseuse brésilienne, le bayou de Barbara & Jill, Sylvia en Mata, le snowpiercer d’Andreï et Rebecca, Brooke au Sahara, Reeve dans sa street, Gudrun en « gouine »), des éclats (proustiens, de rien) de cinéma d’adolescence et de vidéophilie en famille, des visages et des paysages révolus, revenus, tout un imaginaire et une imagerie non pas à réévaluer (pas totalement, en tout cas) mais à se remémorer avec une certaine tendresse de jeunesse, en parallèle et dans les marges d’une « formation » (ou déformation) filmographique singulière, radicale, hétérogène, personnelle et générationnelle (à quoi bon, sinon ?), une indifférence aux « canons » officiels du « bon goût » et une célébration du (parfois) réjouissant « mauvais goût » d’autrui (de préférence sans Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, merci, autre entité bicéphale assurément insupportable). Tout cela et plus (ou moins) vous attend, au détour d’une nouvelle collection iconographique à consulter allegro et au présent des sentiments, d’une vie et du cinéma – enjoy, guys and girls !

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