Midnight Movies : Les Aventuriers


Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de Stuart Samuels.


Tout tient dans le sous-titre : From the Margin to the Mainstream. En quatre-vingt-six minutes et sur sept années, de 1970 à 1977, cet opus canadien télévisé (pourtant présenté à Cannes) de 2005 retrace un mode particulier d’exploitation, évoque un corpus de films « représentatifs » et dépeint la façon dont tout ceci finit par irriguer, ou se diluer, dans le cinéma et la société d’aujourd’hui. Avec une dualité désolante et une régularité scolaire, l’auteur (+ producteur flanqué de quatre monteurs), universitaire se piquant de sociologie cinématographique (ne riez pas), admirateur du travail « ethnique » de Neal Gabler (les Juifs et le « royaume de leurs rêves » sur pellicule) associe entretiens (les gérant de salles Bern Barenholtz, de l’Elgin à New York, Larry Jackson, du cinéma Orson Welles à Boston, les critiques J. Hoberman, Jonathan Rosenbaum ou Roger Ebert, le producteur très enrichi Lou Adler, Bob Shaye, « ponte » de New Line, les réalisateurs concernés) et extraits (non sous-titrés, la voix des intervenants d’ailleurs doublée en voice-over).



Les commentaires consensuels, tronqués de leurs questions, se déroulent sur fond d’animations à la con (couverture géante de l’essai homonyme de Hoberman & Rosenbaum) et d’une bande-son guillerette, censée dupliquer le rythme alerte du montage. On passera donc très vite sur l’aspect formel, « degré zéro » du documentaire, démonstration assez consternante du discours souvent insipide et impersonnel de la TV sur le cinéma, a fortiori quand elle se préoccupe de sa frange estampillée, à tort ou raison, la plus déviante, pour hélas souligner la pauvreté du fond (mais les deux vont de pair, bien évidemment, partout et toujours), doxa ressassée de contre-culture, d’underground, de freaks (le chef-d’œuvre de Browning se vit rediffusé ainsi), de transgression, de mauvais goût, d’ironie, de violence, d’indépendance (d’esprit et de moyens), de fortes personnalités, de participation du public et de contexte social désenchanté (Charles Manson en embuscade infanticide), les « films de minuit » en exutoire autarcique (huis clos camé, interactif, entre la fumerie générationnelle, la liturgie du « culte » et le happening ludique) dans le sillage de la révolution ratée, ici et là-bas, des années 60.


Pour cet éloge nostalgique, nécrophile, tellement propre sur lui qu’il en devient suspect, superficiel, anodin, mesquin, on convoque, par ordre d’apparition à l’image et au son, El Topo (psychédélisme mystique), La Nuit des morts-vivants (cannibalisme politique), Pink Flamingos (burlesque trash, à la coda coprophage), The Harder They Come (polar reggae ou inversement), The Rocky Horror Picture Show (épouvante et virginité), Eraserhead (cauchemar cosmique et domestique). Jodorowsky, Romero, Waters, Perry Henzell, Richard O’Brien (le « cerveau » du Show) et Lynch font un petit tour de piste, bien portants et constamment au bord de la bonne humeur, sinon d’une communicative hilarité. Car les six métrages ne manquaient pas d’humour (de sarcasme, dans le cas de La Nuit) et ce regard amusé affleure en filigrane de la marginalité prégnante, reproduite ou accompagnée par les conditions de projection, tardives ou festives. Auparavant succès scénique (le titre signé Jim Sharman) ou critique (l’allégorie de Romero), le circuit « alternatif » leur permit de rencontrer leur auditoire, la « niche » épousant le « tribalisme », pour ainsi dire, avant que la VHS ne vienne tabasser tout ça et délocaliser l’illégalité ou l’incongruité (des pratiques, des imageries) à la maison, directement dans la psyché des adolescents et des adultes consommateurs « maniaques » (à la Bill Lustig) de vidéo, petits Max Renn (Vidéodrome, voui) en puissance dans leur impuissance de (télé)spectateurs bien sages et bien dressés, de citoyens votant pour Reagan ou Mitterrand. Le « Système », hollywoodien ou capitaliste (le premier en caricature exemplaire du second), on le sait, se caractérise par sa capacité à éroder toutes les aspérités, à faire du fric avec ce que l’on croyait, crut, unique, à niveler la vision au temps de la mondialisation, la planète entière devenue rien d’autre qu’un gigantesque multiplexe où quasiment tout le monde, à toutes les séances, va voir le même film au même moment, puis en parle de la même manière sur de similaires réseaux sociaux.


Ce que nous dit Midnight Movies, et il convient de se satisfaire de cela, puisqu’il ne propose aucune idée neuve sur la parenthèse portraiturée, ni n’apporte de révélations majeures au sujet des œuvres, de leur fabrication, de leur réception, de leur signification : minuit aussi finit par passer, trépasser, l’heure des sorcières, des contes et des insomnies transfigurée (laideur des billets verts) en celle des figurines de merchandising, des comptes en banque et des livres de recettes, des produits audiovisuels autant nets et excitants que le lit abject d’une prostituée dévaluée, tout sauf bandante (nos hommages aux « travailleuses du sexe », pas mieux loties par l’économie de marché triomphante que d’autres « professions », encore plus mal traitées, de surcroît repoussées dans les vraies marges de l’espace et imposées hypocritement, étatiquement).


Le plaisir pris à retrouver ces « pirates » désormais « rangés » (au rayon des pionniers, des icônes, voire des antiquités ou des retraités) ne saurait compenser le vide assurément abyssal de l’ensemble et sa myopie méta (quid du Nouvel Hollywood contemporain, purement et simplement inexistant, du X advenu, Gorge profonde à peine cité ?). 1977, disions-nous en introduction : Midnight Movies s’achève par conséquent sur le sacre entrevu des Dents de la mer et de La Guerre des étoiles, extrapolations ou développements (jusqu’à un certain point, certes) sonnants et trébuchants de La Nuit des morts-vivants et de Eraserhead. Quarante ans après, le « village global » de McLuhan (sa filmographie) résonne encore du même chant de mort indolore, mélange régressif de frisson inoffensif, d’espérance mercantile et d’américanisation des sensations, des émotions, des consternations (cf. l’élection et la gouvernance de Trump, télé-réalité à grande échelle), publicitairement hypertrophié, asséné à tous, sur tous les supports de la poussiéreuse modernité.


À midi ou à minuit, il nous semble grand temps de jeter tout cet amas, ce fatras, à la poubelle visuelle, de chercher davantage les avérés francs-tireurs, de débusquer les lueurs de contrebande, de guérilla, de cinéma hors-la-loi. Avec leur hiérarchie implicite (Lynch et Romero ne boxaient certainement pas dans la même catégorie, intellectuelle et sensorielle, que leurs confrères, et leurs deux films, matriciels, déjà essentiels, perdureront longtemps, contrairement à leurs comparses ; comparez, si vous l’osez, les pitreries de Tim Curry face au fabuleux et faustien Phantom of the Paradise), ces films médians, joyeusement ou obscurément, surent tracer une voie différente, stimulante, véhémente et secrète, au double sens du terme (public parcimonieux, impact mystérieux) – aux caméras, artistes-citoyens !   


                   

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