Contamination : L’invasion vient de Mars
Au pays de Shakira, nul ne vous verra sauver (provisoirement, loi mercantile
et lucide du « genre ») vos semblables (qui ne le méritent guère, en
vérité).
« Tout s’harmonise »
(Stephen King, 22/11/63) : l’ouverture de Contamination rime avec Le
Vaisseau de l’angoisse de Steve Beck (dans le sillage, expression
idoine, du Dracula de Stoker, certes), l’un de ses prédécesseurs
mentionnés au détour d’un ligne de dialogue : un bateau fantôme pénètre
dans les eaux calmes de New York, survolé par un hélicoptère dont le co-pilote,
pressé par un opérateur de la tour de contrôle, rappelle qu’il ne se trouve pas
à bord du Concorde, mais à proximité de la Statue de la Liberté. Dès ce
prologue crépusculaire, littéralement, Luigi Cozzi (rebaptisé Lewis Coates pour
l’exportation) met en place les principaux éléments de son histoire, le danger
venu d’ailleurs, un humour discret, constant, une féminité davantage éclairée,
éclairante, que la masculinité souvent spectatrice, passive. Au petit jeu des
citations, des influences, des confluences, Contamination débute
aussi comme L’Enfer des zombies du maestro Lucio Fulci, certo (Cozzi
voulait réutiliser son casting), néanmoins,
pas de cannibales sous-marins ici, seulement des œufs extra-terrestres,
respirant, palpitant, sur le point d’éclore dans une sorte de râle sonore sur
trois tons crispant pour l’oreille (et confectionnés avec des ballons légers
enduits de silicone, farcis d’une ampoule pour figurer leur cœur, en relecture
artisanale du verre de lait trop blanc illuminé de l’intérieur par le Hitchcock
de Soupçons,
en démonstration attachante du système D italien privé de moyens, pas d’esprit
ni d’ingéniosité). Après l’exploration des cabines du dessus aux allures de
train fantôme (macchabées décomposés à foison), dans une cale désormais
congelée, la cargaison en provenance des tropiques comporte d’innombrables
caisses (de terre des Carpates) de café estampillées UNIVER X, dans lesquelles
patientent en réalité ces melons félons, qui vous explosent au visage et vous
perforent le ventre (une scène de laboratoire, conduite par une scientifique
très aryenne, imposera ce sort « graphique » à un malheureux rat
blanc, en écho à la lente agonie du singe gris dans Le Mystère Andromède de
Robert Wise).
Un lieutenant de police (adepte du
peigne), un colonel (au féminin) du Pentagone, un astronaute (dégradé, ivrogne)
se réunissent et s’assemblent pour contrer la menace ovale jusqu’en Colombie (seconde
partie minutée à la moitié du métrage, introduite par un sinistre défilé festif
shooté en mode documentaire), pour une fois territoire d’un autre trafic que
celui de la coke (à la Tony Montana
ou pas). Sur place, la patronne de l’équipe réduite manque de mourir dans sa
salle de bains, lieu anxiogène depuis la douche mortelle de Marion Crane (Psychose,
1960) et refuge-piège pour épouse hystérique en fuite de son écrivain
impuissant de mari (Shining, 1980, sans la hache des Trois Petits Cochons ni
la contre-plongée caractéristique de Kubrick sur ce cinglé drolatique de Nicholson).
Tout se dénouera dans une « pièce interdite » souterraine (porte
pivotante à la Fort Boyard incluse) aux ombres, aux néons et à la passerelle
en métal très années 80, par la confrontation avec l’envahisseur en chef,
cyclope flasque muni d’une double bouche (clin d’œil anatomique à la gueule
dédoublée de la créature hydrocéphale de Giger) et même d’une troisième, placée
au bout d’un tentacule propre à gloutonner le pauvre flic pas héroïque, menotté, hypnotisé.
Un pistolet lance-fusées viendra à bout du Mandrake de Mars (et du traître
ressuscité) tandis que dans les rues de la Grosse Pomme toujours munie de son
phallique et kingkongesque WTC, un sac poubelle funèbre explose, en arrêt
sur image, sous la vitalité létale des maudites coques, coda ironique,
eschatologique, d’une œuvre à ne surtout pas jeter, à la manière d’ordures bis ou paupérisées. En effet, on
s’attendait à un ersatz cheap du
Scott (Alien, 1979), voire à une resucée prémonitoire (oxymoron
rétrospectif) du déjà désargenté Inseminoid (Norman J. Warren, 1981),
au troisième côté d’un triptyque consacré au féminisme (au sens aussi large
qu’un vagin dilaté de parturiente) dans l’espace, à ses affres de survie et
d’enfantement (n’oublions pas le rural Xtro, Harry Bromley Davenport, 1980)
et nous voici face à un film sur terre (et Terre), sur mer, dans les airs
(coucou trafiqué de l’aventurier revenu de la planète dite rouge), face à une
fable darwinienne sur la chaîne alimentaire et l’éternel rapport déséquilibré
des sexes (humains) entre eux.
Film d’horreur et d’aventure, de
science-fiction et de romance, Contamination vibre à chaque plan
posé, soigné, pensé, d’une foi fervente dans le cinéma, dans ce cinéma-là,
honni, adulé ou consommé avec moquerie pour mille mauvaises raisons. Si l’on
sourit avec le métrage, avec le propre recul des personnages (cf. la scène
liminaire de salut réglementaire derrière une vitre de décontamination,
l’observatrice avisant les attributs intimes, probablement recroquevillés, du
policier énervé, gelé, avec un éloquent sourire, sans sourciller lorsqu’il lui
donne du « Monsieur », mon Dieu, à l’instar de Peter O’Toole à
l’infirmière quaker dans La
Guerre de Murphy, tout s’harmonise, again),
on ne le fait jamais contre lui, séduit à la seconde par le sérieux décontracté
de l’ensemble, sa modestie évocatrice et complice. Contamination, en plus
d’être une avérée réussite de Luigi Cozzi, l’auteur d’un mémorable (pour
Caroline Munro, un temps réclamée sur le plateau de cet opus, refusée par la production) et agréable (pour tout le reste) Starcrash :
Le Choc des étoiles (1978), d’un raté Hercule anachronique,
tant pis (et Mirella D’Angelo, Sybil Danning, Rossana Podestà ou Eva Robin’s for ever),
s’avère une victoire collective, remportée sur le temps (huit semaines de
tournage, essentiellement à Rome), l’argent (environ deux cents mille dollars,
somme relativement dérisoire, surtout comparée aux budgets US), les a priori critiques et commerciaux (le
film ne connut pas le succès dans la péninsule, désamour attribué par le
réalisateur au fameux attentat de la gare de Bologne du 2 août 1980, pourquoi
pas, il remporta pourtant la mise en Europe). Contre le risque paresseux de
l’auteurisme, il convient de se vacciner en détaillant le générique et en
précisant les identités, les individualités, les responsabilités, les beautés.
Énumérons donc ceux qui donnèrent vie
à cette adaptation de roman (?) et co-production italo-allemande : devant
la caméra, Marino Masè (Godard, Visconti, Risi, Bellochio, Scola, Liliana Cavani,
Tessari, Deodato, D’Amato, Corbucci et… Jean Girault), Ian McCulloch (Quand
les aigles attaquent et L’Enfer des zombies), Siegfried
Rauch (Patton, Le Mans, Bons baisers d’Athènes, Au-delà
de la gloire), Carlo De Mejo (Théorème, Un homme est mort puis
plusieurs Fulci), Carlo Monni (Pipicacadodo de Marco Ferreri),
sans sous-estimer Gisela Hahn (On
l’appelle Trinita ou… César et Rosalie) et la bien nommée
(non créditée) Brigitte Wagner ; derrière l’objectif : le décorateur
Massimo Antonello Geleng (La Montagne du dieu cannibale, Le
Continent des hommes-poissons, Cannibal Holocaust, Frayeurs
et, plus tard, une récompense méritée pour Dellamorte Dellamore de Soavi), le
directeur de la photographie Giuseppe Pinori (Sous le signe du scorpion des
fratelli Taviani ou Ecce bombo en solo de Moretti), le monteur Nino Baragli
(Pasolini, Leone, le Caligula de Brass tripatouillé par
Bob Penthouse
Guccione), le producteur Claudio Mancini (Il était une fois la révolution, La
propriété, c’est plus le vol de Petri ou Mon nom est Personne,
avant Il était une fois en Amérique et flanqué de sa fifille Tiziana
aux costumes) sans omettre les musiciens des Goblin (sans le « cerveau »
Simonetti) et les (réjouissants) effets spéciaux de Giovanni Corridori (la
trilogie dite du dollar de Leone +
l’inquiétant et mémoriel La Maison aux fenêtres qui rient de
Pupi Avati ou L’Enfer des zombies, once
more). On le voit vite, le titre
regorge de talents, comme les pastèques infectes de « micro-organismes »
ou « bactéries peut-être pathogènes » (au rayon des répliques
savoureuses, celle-ci brille par sa sidérante poésie : « Cette forme de
vie n’a peut-être pas la même notion du temps que nous. Elle reste inerte,
amorphe, passive, tant qu’elle demeure dans le gel absolu des espaces
sidéraux »).
Cozzi, absolument sûr de lui, du
rythme et des angles nécessaires, de sa façon singulière de s’éloigner des
sentiers rebattus, quitte à y retourner un peu (un petit air du contemporain Cannibal
Holocaust
dans cette délocalisation en Amérique latine ; un petit relent de C.H.U.D.,
Douglas Cheek, 1984, dans ce recours à des égouts pas vraiment hugoliens,
couveuse idéale pour la monstrueuse portée des étoiles), s’amuse aussi sur les
patronymes : Stella Holmes associe l’héroïne du film précédent et le
fameux détective psychorigide (et drogué) d’Arthur Conan Doyle (la scène
sanitaire citée supra montre une
autre facette, paniquée, pleine de ressources inutiles, irrationnelle sans
hystérie, ouf, merci, de cette femme intellectuelle, autrefois arrogante, trop
sûre d’elle-même, qui contresigna la déchéance de la cassandre
martienne) ; Hubbard renvoie évidemment vers le fondateur de la « dianétique »,
nourriture spirituelle et contractuelle pour les ingénus aveuglés de sa
Scientologie, Hamilton vers le papa immortel du Capitaine Flam,
l’irremplaçable frisson SF, animé, métaphysique de notre enfance française
télévisée. Le film ne quitte le « plancher des vaches » (durant la
visite de l’usine de caféine, Aris fait remarquer qu’avec des bovins, on
pourrait commercialiser des cappuccinos !) que pour un bref souvenir
visuellement très abouti. Les deux voyageurs astraux, dans un désert de neige
à la The
Thing (Carpenter, 1982), se dirigent en direction d’une grotte à
l’entrée garnie de stalactites du plus bel effet, dentition naturelle (ou
surnaturelle) sur le point de les engloutir.
Ils débouchent dans une cavité molto
utérine (là, précisément, le film se situe dans l’imagerie
métaphorico-gynécologique de ses aînés, connus ou méconnus) et l’un des deux,
subjugué par la lueur au fond de la perspective, par ce qui l’émet, reste
résolument hors-champ, réponse subtile de suggestion aux excès hardcore des explosions corporelles,
organiques (ralenti de chorégraphie) ponctuant le récit à ses deux extrémités,
en vient à mourir aussitôt, à perdre son humanité, transformé en automate
esclave capable de donner le change (il rappelle Wells et sa Guerre
des mondes microbienne aux officiels) en négation d’étrange à ses
supérieurs, de déplorer la folie des avertissements insensés de son partenaire
à propos d’œufs irréductibles à leurs homologues de Pâques. Notre Luigi
s’inspire clairement de l’argument de L’Invasion des profanateurs de sépultures
(titre français nécrophile du beaucoup plus direct The Body Snatchers, avec
le jeu de mots sur corps et cadavre), peu importe la version, de
Siegel (1956) ou Kaufman (1978), mais il retravaille le motif de l’aliénation
en y ajoutant un lien télépathique (le magnat souffre de migraine à chaque
décès de cucurbitacée, graines de violence pas semées par Richard Brooks en
1955) et en flanquant le survivant guère reconnaissant, sous la coupe d’une
entourloupe, d’une épouse réfrigérante, digne descendante de Mengele, a fortiori dans sa combinaison
immaculée, eugéniste, de bioterroriste ou de « zombie blanc » (remarquez-moi
ce Noir rescapé des Black Panthers en cerbère impitoyable d’entrepôt), comme le
formule avant de trépasser un « indigène » à Hubbard dans la jungle
forcément moite. Baigné à la fois par une légèreté de grand enfant émerveillé
par le « plus beau train électrique » du cinéma (Welles) et une
gravité de prophète paranoïaque (les tragiques « années de plomb »
transalpines rencontrent l’effondrement médiatique, en boucle, des
architectures jumelles de la finance internationale), Contamination, par-delà
tous ses trésors de pauvre, abrite un joyau dans la lignée de Miss Munro, très différent et finalement
complémentaire, en la personne chère de Louise Marleau, la découverte et la
révélation de cette odyssée qui pouvait être également dénommée (ou en
sous-titre référentiel de notre article) Manhattan Baby, en lien (de sang, de
confrontation d’époques) avec Fulci.
L’actrice et comédienne québécoise
domine en douceur la distribution, nantie d’une persona de bon aloi, ni guerrière altière,
« dominatrice » illégitime, pas crédible, ni « demoiselle en
détresse » et scream queen orgasmique (à la Fay Wray,
mettons, afin de rester dans le registre tératologique et new-yorkais). Si l’on
apprécie tant Contamination, on le lui doit en partie, largement, et l’on ne
peut que déplorer de connaître aussi mal (de ne pas connaître du tout) la
carrière sur grand ou petit écran de celle qui vécut avec Claude Dubois,
célèbre ici en raison de Starmania, qui traduisit récemment Les
Monologues du vagin d’Eve Ensler (que nous mentionnions dans notre
critique d’hier du livre de Macha Méril, « tous s’harmonise », ter) en « français canadien ».
Belle, talentueuse, forte et tendre (ah, ce « baiser de la mort »
échangé avec le faux macho transi par sa supposée frigidité, quand à son piteux
« Ce n’est pas grand-chose », Tony, humble, conquis, répond avec
émotion « C’est la chose la plus merveilleuse qui me soit arrivée dans ma
vie »), elle représente, au dernier jour de l’humanité trop couvée, à
l’orée du capitalisme arrogant de la décennie 80 (que dire de celui d’aujourd’hui, pleinement
mondialisé ?) un avatar adorable et respectable de l’insaisissable et parfois
détestable « éternel féminin », porteuse d’un érotisme discret (le
moment aquatique, propice à des déshabillages-bizutages de « jeunes
premières », demeure étonnamment chaste), réduit à un peignoir pendu à une
patère, une paire de chaussures à talons compensés (elle veut se changer avant
d’éventuellement mourir, gracieuse et humoristique cocasserie reconnue par
l’intéressée), une robe rose légère avec sac en cuir en bandoulière, à une
chevelure baudelairienne et à des yeux venus d’ailleurs, plus loin que
Montréal, en tout cas.
Peut-on s’intoxiquer à un visage
(exposé en gros plans énamourés), à un corps (deviné), être contaminé
(volontiers) par une présence de spectre charmant, charnel (le principe même du
cinéma, guys and dolls, dirait
Mankiewicz) ? Bien sûr que oui, et pour cela pas besoin de se faire
surnommer Scottie ou de croiser à dessein une fausse blonde suicidaire
apparemment réincarnée (doute identitaire au carré, foyer noir et vide de Vertigo,
aka Sueurs froides, 1958).
Louise Marleau, dans l’éclat sidérant de ses trente printemps et quelques
poussières (interstellaires) balzaciennes, s’élève très haut dans le ciel de
notre cinéphilie (ou celui qui conclut le récit, avant le twist urbain final, étrange annonce en contre-plongée, contre le
mur obscur de la lumineuse voûte céleste, de Blow Out, 1981),
véritable étoile, sereine Stella – officieuse Carribean Lady [nom du cargo] occidentale, adulte qui ordonne
sans humilier, manie par procuration, sans hésitation, le lance-flammes, provoque
une gifle pour réveiller l’orgueil blessé d’un homme, lointaine descendante de
Lauren Bacall chez Howard Hawks (devant la piaule du misanthrope, le flic lui
dit « Au besoin, sifflez-moi », en émule sudiste et transgenre de la
compagne de Bogart perdu dans Le Port de l’angoisse, 1944, encore
un possible titre de rechange) – que l’on n’oubliera pas. Rien que pour elle et
pour tout ce que ce film généreux propose en plus, grazie (mille), caro Luigi
Cozzi.
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