Toine

 

De la vaseline et un oignon : San-Antonio ? Oh non…

Cela pourrait s’apparenter disons à une profanation, si l’on considérait la littérature comme sacrée. Cela pourrait passer aussi pour une assez sinistre plaisanterie, un exercice de révisionnisme risible, vide et stupide. A priori sensible aux critiques possibles, Fournier trois fois se justifie, prétexte de son patronyme homonyme, nous rejoue l’air déjà rassis du qui aime bien, châtie de même, amen, envisage l’ouvrage à l’image d’une recommandation à « lire ou relire » le renommé modèle, idem. Mais il s’agit, en vérité subjective, la mienne, la sienne, que double celle du diariste, de davantage, d’un drôle d’hommage, d’une recréation, voire récréation, au-delà d’une destruction. Composé de quatre parties de taille inégale, conclu selon un inventaire presque à la Prévert, Le Petit Meaulnes expose à petites doses, sous la forme d’un calendrier écrémé, étendu sur quarante-quatre années, avant et après deux guerres, une rivalité entre frères, une enfance moins douce qu’amère, surtout auprès de pareille mère, une « funeste passion » digne du cabanon, un meurtre évité puis accompli. Ici, Abel & Caïn croisent Emma Bovary, puisque le récit raconte une pathologie, le romantisme encore plus dangereux que les oreillons, fiston. Entre Antoine & Augustin, rien ne va bien, au second le paon, au premier le serin. L’aile ou la cuisse ? L’ours ou la biche ? Poète ou plombier ? Revanche ou vengeance ? D’une disparition à la suivante, autant en emporte l’étang, le « soleil couchant », la tendre cruauté d’un fameux enfant. Si l’on sourit souvent, si l’épilogue un peu à la Poe, passe-moi la barrique d’amontillado, à proximité d’une mare à « l’eau épaisse et noire », cher Usher, possède sa propre (im)moralité de boucle bouclée, de conte défait, une sourde douleur irradie ce renversement de perspective, la relecture impure. Fournier fissa ressuscite un gosse mort, le maltraite en traître, le rend in extremis responsable et donc coupable, n’en déplaise à une célèbre ministre fumiste, d’un homicide, d’un fratricide, fichtre. La coda de Lolita procédait du dessillement, le pervers et littéraire Humbert Humbert découvrait une dernière fois, méconnaissable, misérable, l’objet bousillé de son obsession à la con. Flaubert & Nabokov, Minnelli y compris, l’impitoyable « principe de réalité » rapplique sans prévenir, ruine le « principe de plaisir », incite au pire. Bon bourgeois d’une ruralité trépassée, au propre, au figuré, morte la voilà, la mamma, le maire aux projets immobiliers et vestimentaires semble surgi d’un roman de Balzac ou Mauriac, son matérialisme compassé, son « sourire d’épicier », le rendent insupportable à Toine, qui décide d’aussitôt s’en débarrasser, non à l’orée d’une forêt enchantée mais de ses cinquante années. Ce faisant, ce commettant, il semblerait, du même mouvement, inhumer les fantasmes, folies, fantasmagories jolis d’autrefois. Toutefois le refus du réel revient de plus belle, tant l’on sait tous tuer, par les moyens à notre portée, l’effroi, le reflet, le roi, le raté. L’auteur ne rate son crime magnanime, reprend en sourdine de Hegel la maxime, au sujet de l’impossible grandeur du maître perçu par son serviteur, que l’on interprète à tort en preuve de lucidité, de noblesse démystifiée, alors que le philosophe soulignait la trivialité du statut, l’intimité de l’individu. Comédie noire au ludique désespoir, Le Petit Meaulnes n’invite à la gaudriole, plutôt au crépuscule de l’idole, tombeau de frérot, désolé, Mallarmé.        

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