L’Assassinat de Trotsky

 

Un métrage, une image : Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin (2015)

Pendant le prologue, une complice Yaël Abecassis (Mon fils, Riklis, 2014 ou Hatufim) interroge « Shimon » (Peres), en champ-contrechamp ; durant le dernier mouvement, Leah Rabin s’exprime, rime tardive, interlocutrice invisible. Ni JFK (Stone, 1991), ni Tueurs nés (Stone, 1994), Rabin, the Last Day se soucie aussi de « commission » spécialisée, interrogateurs, interrogés, de « culture sociale et politique », idem homicide. Éclairé en claire obscurité par Éric Gautier (Irma Vep + Clean, Assayas, 1996 + 2004, Into the Wild, Penn, 2007 ou Les Herbes folles, Resnais, 2008), scandé selon un lancinant pseudo-boléro signé Amit Poznansky, dont la tension progressive fait resurgir le souvenir sonore du Morricone fatidique de The Thing (Carpenter, 1982), co-écrit par la fidèle Marie-Jose Sanselme, le vrai-faux docu-fiction, essai de fusion, fait divers et fiction, archives et reconstitution, possède un aspect funèbre, comme un huis clos de tombeau, à peine aéré via des retours en arrière doux-amers, exégèse à effectuer, arme à charger, la description d’une « implantation » puis d’une expulsion (de colons), mutiques autant qu’explicites. La fluidité du montage, c’est-à-dire l’habilité de l’assemblage des images, des matériaux d’origines diverses, adversaires presque, paraît un prolongement de moments déroulés dans l’espace et le temps de l’écran, métonymie disons d’utopie, entité de pure cinématographie, en réponse point absconse à un pays désuni. Chez Mary Shelley, la Créature impure, elle-même être de parole, de dialogue, de violence, de vengeance, constituait une métaphore du métier d’editor, un patchwork de camelote, carburant au scandale de la conscience, du cas de conscience. Le suaire du cinéaste, au creux duquel le Premier ministre tendu et triste ressemble un brin au Brian O’Blivion d’outre-tombe de Vidéodrome (Cronenberg, 1983), survole peut-être son sujet, en dépit de ses cent cinquante minutes denses, équilibrées, tel l’hélicoptère mortifère au-dessus de la place royale de l’assassinat dorsal, une pensée pour le stade esseulé des souffrances de Scorpio (L’Inspecteur Harry, Siegel, 1971), vu d’en haut, arène nocturne de « fascisme médiéval », Pauline Kael déraille, fi de celui de Rabin, affirme le meurtrier, étudiant d’extrême droite, frère célibataire, sale gosse souriant, désarmant, armé, arrête de te balancer. Il ne saurait cependant se réduire, Dieu de la Torah merci, à un exercice auteuriste de sémite sociologie, à un pensum bien-pensant de pénible psychologie. S’il fallait, pourquoi pas, accorde-moi ce droit, rapprocher l’item requiem d’un autre, différent, de la même sorte, on choisirait instamment Le Sang du châtiment (Friedkin, 1987). Au-delà de sa dimension méta, mise en scène mise en abyme, vidéaste amateur premier témoin, pressentiment, enregistrement, tout et rien, de son abstraction théâtrale, chorale, sépulcrale, le métrage modestement magistral de Gitaï, caméo de flic en uniforme inclus, radiographie en sourdine, à voix basse, face au fracas des balles, trois fois, cela suffira, un État rongé par le désarroi, une « sédition » de solution (finale), aux caricatures et slogans risibles et terribles, aux analyses psychiatriques psychotiques, sommet tragi-comique d’un boomerang à la Lombroso. Portrait d’une responsabilité partagée, d’une culpabilité décuplée, Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin consigne une paix impossible, de haine endogène.       

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