Gaslight

 

Un métrage, une image : Hangover Square (1945)

Exercice de style, psychanalyse appliquée, presque de série B ? Leçon de réalisation et chef-d’œuvre de poche, malgré un manichéisme féminin mâtiné de misogynie. Barré Lyndon (Sous le plus grand chapiteau du monde, DeMille, 1952, La Guerre des mondes, Haskin, 1953, Le Signe du païen, Sirk, 1954) adapte donc de façon infidèle un roman de Patrick Hamilton, le dramaturge de Hantise (aka Gaslight, Dickinson, 1940, Cukor, 1944) et La Corde (Hitchcock, 1948). Éclairé par Joseph LaShelle, à peine sorti de Laura (Preminger, 1944), puis directeur de la photographie sur plusieurs Wilder, un Cassavetes (Un enfant attend, 1963) ou un Penn (La Poursuite impitoyable, 1966), musiqué par Herrmann alors à la Fox, interprété par l’impliqué Laird Cregar, cané d’une crise cardiaque peu avant la distribution en salles, dommage, Hangover Square brûle d’un feu précis, précieux, file le motif métaphorique, lui-même ensuite repris selon le titre de la biographie de Benny signée Steven C. Smith, A Heart at Fire’s Center : éclairage au gaz, public, domestique, cadavre cramé, smoking concert, bûcher chéri en écho à Fawkes Guy, bougies de jeu live, brasier final de solitude morale. Jamais moralisateur, le film magnanime de Brahm accompagne une âme, experte, en détresse, damnée, condamnée. On peut (re)penser à Jack l’Éventreur, le décor et l’époque s’y prêtent, certes, cependant resurgit aussi le spectre plus social, pardi, de M le maudit (Lang, 1931). Au-delà de sa dimension psychologique et phonique, le « subconscient », le « son dissonant », tu m’en diras tant, cher Sanders, médecin un brin freudien du Yard sur ses gardes, l’opus rapide, débarrassé de didactique bagage, en dépit d’un poil de bavardage, matérialise et met en abyme le dilemme d’un compositeur amnésique, surmené, burn-out, en effet, trop obsédé, pas hédoniste assez, partagé entre musique classée classique et chansons à classer cyniques, puisque le personnage de salope manipulatrice et de putasse arriviste de la douce et belle Linda Darnell, elle-même fumeuse in fine enflammée, décédée quasi à domicile dans un incendie, fissa incinérée, la vie imite l’art, dare-dare, le détourne du droit chemin culturel, le corrompt via le commerce, surtout celui du sexe, accessoirement le cocufie, se marie, avec un producteur secoué, démoli. La chanteuse à chatte verra vite son irrésistible et factice reflet très étranglé, moralisme masculin malsain, digne indeed de l’asile. Contre l’opportunisme, le capitalisme, la culotte de cabaret, par Hermes Pan chorégraphiée, la tranchée funeste de l’inquiétant quartier, de surcroît la gueule de bois (hangover) de l’irréversible vérité, vous revoici meurtrier, le pianiste s’enfonce au milieu des flammes, du mélodrame, s’y purifie, à défaut de s’y rédimer. Comme Nemo ou L’Abominable Docteur Phibes (Fuest, 1971), sans parler du Phantom of the Paradise (De Palma, 1974), le nihilisme se mêle au romantisme, la misanthropie se teinte de mélomanie, la folie affole car l’escorte un concerto remarqué et remarquable, pas encore renommé macabre, au creux et en acmé d’une partition méritant itou l’attention. Virtuose dès le prologue, le cinéaste réalise ainsi une sorte de miracle laïc, un tour de force cinématographique, filme superbement un morceau magnifique, accomplit lorsqu’il détruit. 

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