Pour qui sonne le glas
Un métrage, une image : Te souviens-tu de Dolly
Bell ? (1981)
Tourné pour la TV, récompensé à
Venise, co-écrit avec Abdulah Sidran (Papa est en voyage d’affaires, 1985),
éclairé par le régulier DP Vilko Filač (The Brave, Depp, 1997), le premier
long métrage d’Emir Kusturica s’apparente à un mélodrame drolatique, une
comédie dramatique, un ouvrage à l’évidence à demi autobiographique. On peut
situer son point de basculement exactement, lors du viol à tour de rôle de la
seconde Dolly Bell, les poutres poussiéreuses s’en souviennent. Tandis que Dino
pleure sous la pluie, à celles de la victime se mêlent ses larmes à lui, plus
tard, une vitre mouillée le séparera de sa bien-aimée malmenée, motorisée, trois
petits mecs la besognent sec et à sec, musiciens malins et malsains, cependant
autant innocents que les oubliés adolescents de Los olvidados (Buñuel, 1950),
justement. Au creux de la capitale alors encore yougoslave, le couple en
déroute se retrouve ; cette fois-ci, le juvénile guitariste, obsédé par
les vingt-quatre mille baisers de Celentano & Fulci, réagit, riposte, via un paravent, au proxo yougo, à Bardem
chez les Coen de No Country for Old Men (2007) ressemblant molto. Ce dernier ne
succombe, une pomme de péché dans la bouche lui enfonce, l’amoureux malheureux
donnera de l’incident humoristique et violent sa version magnanime à sa
famille. Auparavant, il apprenait, parmi le pigeonnier, la poule peu farouche
s’y pose, s’y repose, s’y désape, s’y lave, à embrasser, doucement déniaisé,
toutefois enfienté. Comme le déclarait la mère amère, à la suite d’une
fuite : « Jeunes gens, ça n’arrive qu’à Sarajevo », où se
soucier, durant les années soixante, de communisme, d’hypnotisme, d’amateur
orchestre, d’axe terrestre. Si les femmes représentent le « sel » de
l’existence, s’en passer signifier en accepter l’insipidité, elles préfèrent
les « flegmatiques », dixit
le père un peu alcoolique, porté sur la dialectique, la domestique dictée, les
poumons pollués. Le poignant trépas du papa accompli, pas de funérailles façon
islam, merci, plutôt, en cadeau, une chouette bicyclette, la vie se poursuit,
les principaux personnages déménagent, disent adieu à leur banlieue de quasi miséreux, direction l’horizon, sur
lequel se dressent les immeubles du vallon, des grues de construction. Dos
tourné, le fumeur se répète pour lui-même, en voix off, un mantra de méthode Coué morose : « Tous les jours,
en tout point de vue, je progresse », écho à l’optimisme rosse de
Pangloss. Candide de désormais Bosnie-Herzégovine, il vient de recevoir une
éducation sentimentale et morale, d’être dépucelé, baptisé, en tout cas au
figuré, il lui reste à grandir, disons à s’enfuir, à l’instar du sieur Emir.
Porté par une interprétation chorale irréprochable, mentions spéciales au
sensible Slavko Štimac (Underground, 1995), à l’irrésistible
Ljiljana Blagojevic (Aenigma, Fulci, 1987), Te
souviens-tu de Dolly Bell ? séduit en raison de sa maîtrise, de sa
modestie, de son équilibre, de son intime. Le cinéaste mélomane et polémique,
dont les déclarations de jadis, au sujet de la Russie et de l’Ukraine,
acquièrent aujourd’hui une actualité cruelle, se fourvoiera fissa au sein d’un
folklorisme un brin fellinien, bien que fantasmagorique moins, avant de se
recycler, à moitié, documentariste a priori anecdotique. En 1981, règne
mitterrandien, il esquisse un destin, rempli de dure et tendre empathie, réussit
l’autoportrait, en partie du pays, laid, joli.
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