Alexandre
Un métrage, une image : Les Poings dans les
poches (1965)
Tramé à domicile, financé en famille,
le premier film de Bellocchio passa aussitôt pour un brûlot, scandalisa molto,
ne séduisit ni Buñuel ni Antonioni, tant mieux, tant pis. Redécouvert
aujourd’hui en version restaurée, beau boulot de l’éphémère dirlo photo Alberto
Marrama, ensuite au service de la TV, du documentaire dit engagé, il s’avère
vite une comédie dramatique, un mélodrame drolatique, dont l’humour noir
autorise une discrète tendresse, exorcise le désespoir, presque. « Quel
supplice de vivre ici ! » s’écrie en sourdine le souriant Leone, candide débile désolé d’un autodafé de maternel mobilier, Marat de médoc, cadavre à la
flotte. Plus tard, dessillée, sidérée, à la renverse tombée le long de
l’escalier, donc alitée, sa sœurette suspecte, cf. la liminaire lettre, un peu
anonyme, pas très maligne, conseillera de s’incruster au frérot Augusto, lui-même idem au courant des meurtriers
agissements, car uniquement les « incurables », c’est-à-dire, en
définitive, eux-mêmes, leur fréquentation au creux de l’asphyxiée maison,
mausolée sinon, a posteriori à répétition, calme « l’exaltation »
d’occasion du frangin assassin. I pugni in tasca diagnostique ainsi
une pathologie multiple, domestique, autarcique, propice au machiavélisme, au
double homicide, matricide suivi fissa de fratricide. Quant à la coda, trépas
sur un aria de l’increvable Traviata, titre explicite, elle
anticipe, épileptique, le suicide de Dutronc chez Żuławski (L’important
c'est d'aimer, 1975). Dans Le Voyeur (Powell, 1960),
autre (auto)portrait d’un tueur, aussi radiographie d’une folie, la mère voyait
clair, identifiait le danger, en dépit de sa cécité. Du côté de Marco, fils
d’un homme de loi, d’une maîtresse mamma, gauchiste gère tardif, la veuve ne
voit rien, subit son destin, chute à l’écart du tumulte, sacrifice sur les
sommets, parmi une Italie enneigée. De l’élève en privé, à la dure éduqué, va
reluquer les jambes bronzées de ma Giulia, voilà, renverse l’encre sur le bulletin
de notes contrefait afin de t’apprendre, aux animaux à élever, voire à
chasser ; de la fidèle prostituée à la future épousée ; de la soupe
sonore à la Brel (Ces gens-là) au funéraire café de la farouche fiancée ; de
la nécrologie survolée, inventée, à l’image hommage d’un officier allemand
posté au chevet ; du cimetière à visiter au cimetière à investir ;
d’un drapeau transalpin, ne valant rien, débarrassé, aux gamins du curé, en
train de s’amuser ; d’un miroir où embrasser un reflet à une masse de
Pro
familia
à monnayer ; bien sûr de Brando à Hobbes, Les Poings dans les poches,
à l’opposé de Théorème (Pasolini, 1968), carbure à la rage, à l’outrage, aux
enfantillages, à l’admiration, à l’émancipation, à l’autodestruction.
Bellocchio semble s’être bel et bien amouraché d’Ale(s)/Sandro, vrai-faux alter ego, ange exterminateur non dénué de douceur, de douleur, muni d’un
oreiller à la Haneke (Amour, 2012), à l’effarante
fraternité, à la volonté viciée, de l’interprète Castel, qui phagocyte le film et
le casting de sa présence physique,
ludique, menaçante, stimulante. Si le reste du corpus reste à explorer, sauf l’anecdotique Le Diable au corps
(1986), Maruschka Detmers pompe pour de bon, et alors ?, ou le pas tant
convaincant Vincere (2009), le Duce, Ida, etc., I pugni in tasca demeure une porte d’entrée à
raison renommée, maîtrisée, surestimée, ouverte sur un enfer familial et social,
de classe condamnée, par Mai 68 malmenée, toutefois renforcée.
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