Que c’est triste Venise
Aznavour, mon amour ? Donaggio, en morceaux…
Caro Pino, d’aucuns diraient que tu
reviens de loin, mais tes crooneries pas si conneries, de « dernier
romantique » assumé, revendiqué, surent séduire Mina, Dusty (Springfield),
Elvis, jadis. Balavoine invitait les « chanteurs de charme » à « nous
rendre nos femmes » ; quand le succès décrut, tu ne rendis les armes,
tu composas au pied levé, producteur paraît-il croisé, anecdote de bord de flotte,
pour un remarquable et remarqué mélodrame dû à Roeg, qui attira l’oreille d’un
cinéaste mélomane nommé De Palma, oui-da. Que deviendraient ses films sans tes
musiques ? Question rhétorique, sinon stupide. Ni ersatz de Herrmann, ni
émule de Morricone, plutôt couple privé d’entourloupe, à la Montaigne & La
Boétie, des différences d’idiomes, faisons fi, tes contributions beaucoup (de
toi) leur accordent, précises, précieuses, logiques, lyriques. Sissy &
Angie sous la douche, au lycée, au musée, Nancy assassinée, immortalisée,
Melanie doublée, dédoublée, un brin Béatrice bandante de Dante, nul ne peut
désormais les imaginer sans toi en train de les magnifier, menacer, car l’on malmène
celles que l‘on aime, Wilde valide, les féministes fulminent, reines de requiem, déesses en détresse. Issu d’une
famille de musiciens, violoniste de formation, adoubé d’Abbado & Anka, oh
là là, tu (re)trouvas donc ton identité puis ta postérité dans le domaine de la
« musique appliquée », comme tes compatriotes appellent les « BO »,
les « OST » (l’opéra, et cetera).
Les « genres », les registres, rien ne te retient, rien ne te
résiste, tu travailles en tandem,
avec autrui au moins deux fois fidèle, citons les noms d’Aliprandi, Argento,
Avati, Brass, Cavani, Cozzi, (Joe) Dante, Deodato, Ferrara, Fragrasso, Hill,
Lado, Rubini, Schmoeller, parmi nombre d’autres partenaires davantage
éphémères. Le Michel Chion de La Musique au cinéma te classerait
presque en « plaisir coupable », rapproche la (supposée)
sentimentalité sucrée de tes notes ad
hoc de quelques accompagnements des opus d’Akira Kurosawa. Pourquoi pas,
puisque tu signes aussi, contrepartie de la folie nazie du propriétaire pervers
Kinski (Crawlspace, Schmoeller, 1986), une complainte d’Israël plus
troublante, peut-être plus poignante, que le célèbre thème de Williams ton
confrère, en hommage à Schindler(’s List, Spielberg, 1993).
Artiste a priori accessible, mec modeste, Vénitien, tu le vaux bien, voici
ainsi un CV placé sous le signe de la diversité, de la créativité, en
particulier pendant les années 70 et 80. Faire frémir, faire réfléchir, faire
rire, susciter le désir, tu t’y dédias tant, autant, sur le grand et le petit
écran, en Italie, en Germanie, (re)voici Sissi, la lynchienne Sherilyn Fenn,
relookée en Catherine Bomarzini (Meridian, Band, 1990), pile et face
d’une façon unique, la tienne, bien que bien la serve le chef d’orchestre
Natale Massara, ensuite associé au spécialiste des synthés Paolo Steffan. Je
n’écris pas par nostalgie, je n’écris pas au sujet de gens jeunes et jolis, j’écris
surtout pour célébrer, éviter de devenir cinglé : la playlist proposée ne vise à l’exhaustivité, se propose d’exposer, à
peine une partie de ta palette, guère plus suspecte que cette lettre, allons,
laissons le reste à explorer, examiner. Mélodiques et ludiques, parfois
sensuels, jamais cruels, munis de mélancolie et remplis d’appétit, dessinant en
sourdine une histoire transalpine, un sonore instantané de ta société, de ton
ciné, merci molto de ceci, caro Pino…
Commentaires
Enregistrer un commentaire