La Pitié dangereuse

 

Bérurier ? Bresson…

Découverte idéale aujourd’hui, Le Tireur triste, beau titre, démontre que Frédéric Dard possédait un style précis, rapide, que l’argotique sait aussi se soucier d’éthique. Le grand petit roman amusant, émouvant, écrit au cordeau, aucun mot de moins, de trop, structuré en boucle bouclée, passant du présent au passé composé, de l’exposé objectif au récit subjectif, presque post-mortem, commence sur un défilé festif, à Nice, se termine sur un cortège funèbre, au carré, car macchabée au creux de la Chevrolet « bien briquée qui accapare tout le soleil », amen. Dédié avec « affection », sans affectation, aux amis Hossein & Vlady, salut aux Salauds vont en enfer (1956), à Toi, le venin (1959), aux Scélérats (idem), au Caviar rouge (1986), qu’il inspira ou auxquels il participa, Le Tueur triste se souvient bien sûr du Silence de la mer, le livre de Vercors, paru pendant l’Occupation, le film homonyme de Melville, sorti en 1949, huis clos doux-amer de mutuel apprivoisement en pleine guerre. Il accomplit plus, présente trois personnages féminins, à la fois symboles sexuels, sexués, de seconde chance et instruments du sombre destin. Face à la patraque Madame Broussac, à Jacqueline la déjà vieille fille, à Sylvie l’adolescente jolie, violon de bande-son d’idoine lamentation, n’y touchez pas, ne me touchez pas, noli me tangere, gangster surmené, malmené, Lino, à la Ventura, oui-da, abréviation d’un prénom non exempt de connotation, Angelino diabolique, ensuite angélique molto, se met à nu, démasqué, au propre, au figuré, se fait à moitié défigurer, « because » griffes d’une gifle de chatte en robe de chambre pas tant sur toit brûlant, quoique. Il s’impose, il en impose, il ne pense qu’à piéger le petit empaffé qui vient de les doubler, lui, Max le maudit, Charly « l’ahuri », adieu aux « diams », magot pas commode, dissimulé parmi le pied évidé d’une commode, La Lettre volée de Poe devra aller se faire poster ailleurs, loin de la tension, à couper au « couteau corse », loin de la fureur, ponctuée d’éclat de rude tendresse, de sidérante douceur. Thriller chrétien, parsemé d’une porte dite étroite, la prison, ses lectures, ça ne rend pas con, ça invite à la conversion, d’un charpentier par des pré-truands entouré, Le Tueur triste associe ainsi une foudroyante épiphanie, messe balèze, celle de la réalité de Jésus, de son humanité, de sa bonne volonté, récompensée comme l’on sait, associée à une seconde, celle d’une « chaîne de chair » intemporelle, éternelle, nous reliant les uns aux autres, réduisant à néant le désir d’assassinat, nous asservissant à une sorte de liberté relookée, renouvelée, transcendée, sise sous le sceau de notre commune fragilité, de l’éphémère de nos mères, amours, parcours. Mauvais garçon méritant l’excommunication, atteignant cependant la rédemption, le Lino de Dard remémore dare-dare le Meursault de Camus, surtout lorsque cet étrange étranger, pitoyable, impitoyable, digne de pitié, d’être sauvé, s’effondre devant le lit de la vieille dame à l’agonie, qu’il vient de condamner, l’instant d’un kiss of death désespéré, par laquelle il se fait in fine « posséder », pietà te revoilà, à la place du fils indigne, qu’il va s’épuiser à châtier, à martyriser, au moyen de son ceinturon à boucle cassée sous les coups d’un ange exterminateur transformé en gros « robot ». En dix-huit chapitres d’un chemin de croix laïc, Lino redevient donc un homme, découvre la valeur du médiocre et décède discret, rédimé… 

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