Audrey Rose

 

Un métrage, une image : La Brigade (2022)

De ce téléfilm insipide, on souligne trois instants signifiants. D’abord, la séquence du repas réservé au nom de Nabilla, grand restaurant aux plats pas moches, servis sous cloches, festin serein, filmé en courts travellings collectifs, où les gosses évoquent en voix off leur CV d’exil forcé, leur statut d’aventuriers imposé, assumé. Ensuite, une scène muette, durant laquelle les mêmes se font fissa radiographier, leur sort dépendant de leurs os, minorité, tu peux rester, majorité, te voici expulsé, plus tard au creux du couloir encadré, daté. Enfin, l’ultime tiers d’émission culinaire, court-circuitée par la cheffe recalée, aussitôt transformée en proscenium promotionnel, création de CAP incluse, appels téléphoniques très chics. Tout ceci signifie ainsi qu’il s’agit de mettre en valeur non la saveur des aimables mecs classés de couleur mais bel et bien la blancheur d’une équipe sympathique, empathique, celle que composent François Cluzet, Audrey Lamy, Chantal Neuwirth. À côté du triumvirat évidemment bienveillant, « courageux », généreux, les « migrants », forcément désarmants, délestés de la moindre once d’obscurité – malgré l’éclat des légumes à couper, Djibril rentre vite dans le rang, fanatique de football, cueilleur de salades, détenu de panier à salade, ne nous raconte pas de salades, rentre au pays, pardi, puisque ici la vie s’avère difficile, en effet, dureté in fine formulée par l’intéressé, lequel croyait y trouver « tout », pauvre fou –, se voient réduits au rôle pas si drôle de faire-valoir, de silhouettes en aucun cas suspectes, naturellement honnêtes, guère dégueulasses, Rousseau en kiffe sa race. Du foyer au centre commercial, jusqu’au « restaurant éphémère » du final, l’éducation se déroule au creux d’un espace fermé, surveillé, quasi carcéral. Quant à la technologie médicale, en collusion avec le pouvoir légal, elle rappelle un passage célèbre de L’Exorciste (Friedkin, 1973), lorsque la diablesse subit un examen cérébral, destiné à sonder sa santé mentale, morale, moment méta de réalisme éprouvant, parmi un opus un paquet en comprenant. Âge de ses artères ou âge de procédure judiciaire, l’imagerie spécialisée participe d’une transparence généralisée, d’une mise à nu et d’un contrôle du corps des individus, a fortiori étrangers, greffés sur le corps social national, en l’occurrence hexagonal. La politique comme exercice complice de l’existence ensemble, au sein de la Cité, territoire symbolique, délocalisé, comme énergie, pas seulement de gastronomie, à partager, à l’instar d’un menu bienvenu, accompli en groupe à la fois dirigé, démocratique, chacun, sur le terrain, cuisinier ou sportif, acquis à la cause d’un contrat de société accepté, actualisé, apaisé, soumis de son plein gré à une activité déterminée, au meilleur de ses capacités, s’oppose par conséquent au politique pensé, exercé, en tant que discriminant, excluant, assimilation inadmissible, (dés)intégration impossible. Durant le dernier mouvement, ce film infime détourne le dispositif vomitif de la télé-réalité, sa tendance d’outrance à surdramatiser, sentimentaliser, à instrumentaliser. L’auteur du fadasse Carole Matthieu farceur se veut, satiriste, humaniste, il met en abyme l’absence de style de sa tragi-comédie incomestible, ses ressorts de pathos, sa bonne conscience de maltraitance. La Brigade, sur ses gardes, à autrui ne prend garde, ne regarde.  

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