Les Invisibles

 

Un métrage, une image : I See You (2019)

Un film de cinéaste, pas souvent, pas assez, pléonasme ? Un film de scénariste, pourrait-on formuler, en l’occurrence celui de l’acteur Devon Graye, coup d’essai, coup point raté. Le prologue, avec son ado à vélo, sa ruralité pasteurisée, petites chutes d’eau, long pont à étoilés drapeaux, en drone survolée, laisse déjà deviner un certain malaise, gaffe à la forêt, au vol improvisé. Soudain surgit le visage vieilli de Helen Hunt, psychiatre patraque, mère adultère, « briseuse de famille qui dois payer pour ton crime », lui crache en rage, au petit-déjeuner, son grand garçonnet, les fraises et les pancakes provoquent ensuite chez le mari flic une colère similaire, par la fenêtre fermée passe aussitôt le cellulaire. Du thriller pédophile, on passe peut-être au suspense fantastique, suppute le spectateur sans peur, de se tromper, d’être (dé)trompé, puisque une présence se ressent à l’intérieur de cette maison tout sauf du bonheur, vaste et néfaste, cossue et inconnue. Hunt ne hurle pas, elle ignore Le Horla, elle met illico sur le dos du vitrier, la félicitant de la politesse de sa « fille », inexistante, incompréhensible, ses couverts évanouis, retrouvés en train de tourner, d’être lavés. Des photos « flippantes » disparaissent, la TV s’éveille en solo, un mug à tournesol vient blesser l’ex-amant rappliqué, achevé à la cave à la batte ensanglantée. Tourmenté, surmené, le policier accepte de l’enterrer en compagnie de sa moitié, puis lui promet, une fois le fiston détaché, débâillonné, d’épingler le coupable empaffé, sur le couteau de poche vert a priori porté. Quand on parle du loup, on aperçoit la grenouille en caoutchouc, dessous se dissimule le supposé envahisseur masqué, armé, très remonté. Au plan suivant, en plein jour, la bagnole quitte la baraque, l’opus adopte un autre point de vue, revient au début. Deux SDF juvéniles réalisent donc un « documentaire » à leur manière, « s’incrustent » à domicile, home invasion dans la discrétion, s’y livrent à des jeux imbéciles, mention mimi à la pisse sur le père endormi. Comme en écho à Thompson, les forces de l’ordre déconnent, le cocu se révèle kidnappeur, braqué, il s’excuse, à demi-mot, d’avoir jadis été lui-même abusé, se fait fissa identifier par l’intrus cru « taré », la dernière scène, souvenir essentiel, du film le confirme. Menteur, moralisateur, machiavélique, meurtrier, il succombe ainsi à sa némésis, elle-même un brin abîmée par le second flic qu’elle identifie, qui l’identifie, reconnaissances en série. Tandis que la maman et le garnement reviennent en urgence des urgences, l’objectif s’élève au-dessus du « justicier » alité, en souffrance, en délivrance, emporté en ambulance. Ni Mystic River (Eastwood, 2003) ni Michael (Schleinzer, 2011), ni Rec (Balagueró & Plaza, 2007) ni Funny Games (Haneke, 2007), I See You s’apprécie en exercice sinistre et en sourdine ludique, en leçon de perception et d’interprétation, en (dé/re)montage alterné d’un puzzle de parallèles et de perspectives, dont les lignes en arrivent in extremis à se croiser, dont toutes les pièces finissent par s’emboîter de façon habile in fine. Bien éclairée par le DP Philipp Blaubach (La Disparition d’Alice Creed, J Blakeson, 2009), bien incarnée par un Jon Tenney solide en modèle de pérenne et presque insoupçonnable perversité, la fable affable d’Adam Randall (dé)montre à qui l’ignorerait, ne voudrait le voir, le savoir, que « Evil hides in plain sight » l’affirme l’affiche d’origine, en effet.                           

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