The Wind : The Wind


Disons un no woman’s land soigné, cependant languissant... 


Une actrice, une réalisatrice, une scénariste, une monteuse : à défaut d’être féministe, voici bel et bien un western (au) féminin. Moins emmerdant mais autant indie que La Dernière Piste (Kelly Reichardt, 2010), The Wind d’Emma Tammi (2018) ne saurait hélas rivaliser avec The Wind de Victor Sjöström (1928), idem écrit par une femme, à savoir Frances Marion, notamment rédactrice pour Mary Pickford, relisez-moi ou pas à propos de Pollyanna (Paul Powell, 1920), alors adaptatrice de la romancière Dorothy Scarborough. En dépit des bourrasques mesurées présentes sur la bande-son, ce portrait en POV par procuration d’une pionnière paranoïaque manque de souffle, de folie, de sens de l’espace, de la surprise. Si le Roman Polanski de Répulsion (1965) empruntait ses mains murales au Jean Cocteau de La Belle et la Bête (1946), le métrage trop sage du jour ensoleillé paraît s’inspirer de REC (Jaume Balagueró & Paco Plaza, 2007) à l’occasion d’une scène surnaturelle de maltraitance domestique, glissade au sol incluse. Il ne suffit pas en effet de surcadrer une héroïne à contre-jour, au creux d’une embrasure d’azur, afin de faire du John Ford. Il ne suffit pas non plus de textuellement citer en renfort Les Mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe flanqué du fameux Frankenstein de Mary Shelley afin d’acclimater le littéraire gothique britannique en territoire étasunien cinématographique. Dès le premier plan-séquence ensanglanté de situation triangulaire, le spectateur se doute de la déroute, devine le vertige de Lizzy, diminutif d’Elizabeth, prénom de la victime de la Créature de Victor, vous suivez ?



Le récit de Teresa Sutherland associe de manière assez scolaire le présent et l’auparavant, la division temporelle censée illustrer la scission sensorielle. La révélation s’avère éventée, le « démon de la jalousie », immiscé parmi la « prairie », mène la danse esseulée, endeuillée. Ici, une mère orpheline d’ascendance allemande assassine une rivale enceinte, évacue un révérend itinérant, égorge un mari souvent en déplacement. Finalement, molto blessée par une paire de ciseaux en écho à celle du Crime était presque parfait (Alfred Hitchcock, 1954), elle se tient, sidérée, en plein air crépusculaire, sur un lit douloureux à la Frida (Julie Taymor, 2002), qui n’existe pas au plan suivant. Tout ceci, laconique, climatique, ponctué par une partition en plomb, dépourvue de délicatesse, se laisse suivre, ne passionne point. Pourtant Caitlin Gerard (The Social Network, David Fincher, 2010) livre une performance estimable ; néanmoins Emma Tammi sait manier une caméra, signe, passée derrière, un first essai dont la forme séduit, félicitations au directeur de la photographie Lyn Moncrief. Même muni d’un argument transparent, anémié, ressassé, timoré, d’une structure mécanique, d’un rythme cacochyme, The Wind ne manque pas de qualités plastiques, de promesses stylistiques allégées de tics arty. Tel un reflet, Lizzy sait se servir d’un fusil, se méfie d’un bestiaire biblique. Face à l’immensité menaçante de la wilderness vite envahie par des voisins pas si « funny », elle dévisse, elle revient en arrière à l’instar de Spider (David Cronenberg, 2002). Moralité de la fable physique, de la fugue psychogénique : nos ennemis à domicile se fichent de l’amnésie, déterrent à distance les avérées violences. L’exil volontaire conduit ainsi vers une saison en enfer, au seuil de l’hiver. 


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