Le Docteur et les Assassins : Soigner le ciné en société
Récoltes dérisoires, grains de guérisons…
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Le cinéma est essentiellement révélateur de toute une vie
occulte avec laquelle il nous met directement en relation. Mais cette vie
occulte, il faut savoir la deviner. Il y a beaucoup mieux que par un jeu de
surimpressions à faire deviner les secrets qui s’agitent dans le fond d’une
conscience. Le cinéma brut, et pris tel qu’il est, dans l’abstrait, dégage un
peu de cette atmosphère de transe éminemment favorable à certaines révélations.
Le faire servir à raconter des histoires, une action extérieure, c’est se
priver du meilleur de ses ressources, aller à l’encontre de son but le plus
profond. Voilà pourquoi le cinéma me semble surtout fait pour exprimer les
choses de la pensée, l’intérieur de la conscience, et pas tellement par le jeu
des images que par quelque chose de plus impondérable qui nous les restitue
avec leur matière directe, sans interpositions, sans représentations.
Artaud, 1927
Nous approchons d’une époque où
l’expression peut atteindre à des hauteurs de violence et de dynamisme qu’on ne
rencontre qu’à la veille des révolutions.
Pour s’exprimer, le choix de certains
hommes est limité, et le moyen le plus authentique et le plus direct qu’ils
puissent se donner est le cinéma.
En dépit de la bassesse où il est
tombé, le cinéma possède encore certaines vertus qui nous permettent de le
considérer parmi nos moyens d’expression.
Grémillon, 1934
Voilà bien l’essentiel : ce public si
parfaitement privé de liberté, et qui a tout supporté, mérite moins que tout
autre d’être ménagé. Les manipulateurs de la publicité, avec le cynisme
traditionnel de ceux qui savent que les gens sont portés à justifier les
affronts dont ils ne se vengent pas, lui annoncent aujourd’hui tranquillement
que « quand on aime la vie, on va au cinéma ». Mais cette vie et ce cinéma sont
également peu de choses ; et c’est par là qu’ils sont effectivement
échangeables avec indifférence.
Debord, 1978
La Monoforme est devenue le seul langage
utilisé pour éditer et structurer les films de cinéma, les émissions de
télévisions, journaux télévisés, feuilletons, soap-opéras, comédies,
reality-show… – ainsi que la plupart des documentaires, pratiquement tous
soumis aux codes et standards rigides qui proviennent directement du cinéma hollywoodien.
Il en résulte une forme de langage caractérisé par : un espace fragmenté, des
rythmes répétitifs, une caméra en mouvement perpétuel, un montage rapide et
saccadé, un bombardement de sons denses et agressifs, et un manque de silence
ou d’espaces de réflexion.
Watkins, 2007
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Révélation, représentation,
expression, révolution, manipulation, justification, permutation, caractérisation,
fragmentation, répétition, réflexion. La « cruauté » du théâtre et la
« brutalité » du cinéma. L’occulte et le direct. La transe et la
violence. L’impondérable et le dynamisme. L’abstraction et la bassesse. La
pensée et le public. La liberté et la publicité. La matière et la limite. La
vertu et le cynisme. L’authenticité et le silence. Histoires, action, but. Endurance, indifférence, encaissement, ménagement. Structure, standards, documentaires, codes.
Langage, montage. Mouvement, bombardement. Conscience, ressources. Densité,
agressivité. Certains acteurs, certaines valeurs. Des affronts sans
affrontements. Une vengeance avortée. L’uniformisation et la soumission, la
forme en mono à l’unisson de « l’unidimension » selon Marcuse (1964).
Le film hollywoodien, la vie ne valant rien. 1927-2007 ; 1895 ou non,
commercialisation en salle versus
datation de procédé. Une coquille lakiste et un mec du clergé. La sainte
incendiée, incendiaire, de Dreyer. Des croix en bois, des soldats aux abois. Une
gueule à aimer, une femme amoureuse, des remorques au milieu. Un palindrome
spéculaire pour une société spectaculaire. Des communards à Montreuil, chez
Méliès. Des praticiens davantage que des théoriciens, quoique. Quoi qu’eux
écrivent, qu’envisagent aussi les révolutionnaires Vertov et son « ciné-œil »
(1923), Vigo et son « cinéma social » (1930). Le cinématographe ? Une
sorcellerie, une corporation, de la passivité, l’un des médias de masse massifs,
affirment-ils. La pratique méthodologique, dialectique, d’Alfred Hitchcock ou
celle annotée, épurée, de Robert Bresson. Des mots mis sur des images, des
aspirations et des descriptions. Quatre voix, à qui les lira, les entendra.
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Mais cette industrie du souvent
sinistre divertissement américano-asiatique, désormais mondialisée, numérisée,
ne saurait se soucier de ceci, tandis que l’auteurisme européen subventionné,
assez inconsistant, sert d’alibi arrogant. Depuis Hollywood, on compte, on
calcule, on amasse des milliards de dollars,
au moyen de crétins costumés, transposés de BD d’adolescence, VRP planétaires
du God bless America et surtout son
cinéma. Au creux de Cannes, on se sélectionne, on se projette, on se
récompense, on ose disserter sur la misère au bord de la mer, en smoking, le glamour, mon amour, on fait des affaires
discrètes, entre élus très select. L’esprit
épicier, l’emprise de la sensibilité petite-bourgeoise, ne se contentent pas de
constituer la structure, d’édicter les contenus, de dispatcher la distribution
de ses produits, de ses productions, elle agit avec l’assentiment de la
majorité des spectateurs. Le capitalisme affermit l’amnésie et nous le
remercions à chaque séance, à chaque best-seller,
excellence monétaire, de nous permettre d’oublier des réminiscences
déplaisantes, d’évacuer via le vide
des souvenirs envahissants, le corps, la mort, la maladie, la solitude,
l’insatisfaction, la détestation. Plutôt se crever les yeux au quotidien, d’un
sourire serein, d’une placidité de trépané(e), que de fixer en face tout ce qui
nous dépasse, nous concasse, nous semblait jadis dégueulasse, déjà supportable
à présent. L’espèce humaine sait s’habituer à ses tourments, à ses excréments,
ceux de l’intimité, ceux du mercredi. Merci aux infinies sorties, puisqu’elles
nous autorisent, même durant une durée minutée, rémunérée, à domicile, autour
de la ville, à sortir de nous-mêmes, du marasme tramé par nos soins mesquins,
notre peur de tous les pouvoirs, je voudrais t’y voir.
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Il convient néanmoins de délaisser le
diagnostic, d’expérimenter des prophylaxies, de préférer à la
(psycho)pathologie sociale la rémission vitale, elle-même, ironie jolie,
affection nietzschéenne. Se rappeler fissa de la réversibilité du venin
empoisonné, à partir duquel élaborer un sérum, a fortiori de vérité,
point contaminée par l’apollinien Platon, par l’iconoclasme du fanatisme. Les
imageries, les mythologies, les idéologies, à peine dissimulées, déguisées, en
épiphanies festives, inoffensives, peuvent se renverser de l’intérieur, se
pervertir en réponse salutaire au pire, commis en pleine impunité, au royaume
dévalorisé de la routine rassurante. Cela se vit, se voit, advient, surviendra.
Ce blog comporte mille et un
antidotes contre la camelote, défie le désespoir, carbure à la clarté du noir,
vision, visionnages, actualité, subjectivité. Ne jamais baisser les bras ni les
caméras, congédier les jérémiades, rejeter la nostalgie, vomir la victimisation
généralisée, évangile d’esclaves, rédigé par la mauvaise foi, sartrienne ou
non. Les citations précédentes, estimables, discutables, s’apprécient ainsi en
semences stimulantes, pas (seulement) en semonces, en sermons, en condamnations
encore de saison. Comme le pain, la culpabilité se partage, le naufrage
concerne l’ensemble de l’équipage, de l’équipe de tournage, du crew de set. Les solutions existent au sein des problèmes, le lointain se
tient dans ta main. Réfléchir aux reflets revient à s’aviser, peut-être à se
sauver, s’apparente à une stratégie de lucidité, tout sauf anecdotique, y
compris lorsqu’elle inclut du ludique. Le romantisme du terrorisme, le
tout-à-l’égout du dégoût, le ressentiment amassé, sur le point d’exploser, l’exil
immobile, laissons-les aux imbéciles, aux stériles, aux impuissants, aux
ermites. Le cinéma se survivra.
Le cinéma arme de propagande la plupart du temps, financé par des sociétés de prod
RépondreSupprimeraffiliées aux banques, donc soyons fort pragmatiques comme disent les anglo-saxons,
on est arrivé en territoire de taux négatifs et avec ce fichu virus les salles de cinoche sont quasi vides, Netflix envahit tout le paysage ou presque, ah oui on nous prépare dit-on à ce que cette crise virale se prolonge jusqu'en deux mille vint quatre...lieues sous les mers avec un film comme Songbird ...Trailer (2021)
bon ce qui restera des petits commerces, du cinéma, de l'amour...du cinéma...
après tout ça, soit cette crise substantielle et cette transition vers un monde qu'on a peine à définir ?
Les salles de ciné fermées, le deuil de l'avenir, pas du passé, dixit Duras, stupéfaite et fascinée par les femmes en noir, en miroir, mais que ce virus qui nous dépasse enfin passe, trépasse !
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