The Unseen : Junior
Séjour de désamour, invitation d’élimination…
1980 again, cette fois-ci à l’occasion d’un film bien nommé, car
méconnu, non vu, désormais visible, disponible en ligne, en VO point
sous-titrée, en appréciable 480p. S’il se souvient de Psychose (Alfred
Hitchcock, 1960), de Massacre à la tronçonneuse (Tobe
Hooper, 1974) et, davantage étonnant, de Duel au soleil (King Vidor, 1946), The
Unseen (Peter Foleg, 1980) possède son propre style, sa propre
personnalité, prend congé du spectateur séduit, surpris, amusé, ému, par une
pietà poignante, presque apaisée, qui n’appartient qu’à lui, qui paraphe
l’argument de maternité tourmentée, à base d’inceste et d’avortement, rien
d’hilarant. Je le dis, je le redis, l’imagerie horrifique (s’)autorise la
tonalité drolatique, procède du discours mélodramatique, se place parmi une
perspective d’épouvantes et de pleurs, de violence et de clémence, de détresse
et de tendresse, double origine de son unique noblesse, mélange étrange de sa supérieure
importance. Lorsque la manipulent des épiciers paresseux, besogneux,
désastreux, elle produit de pénibles déchets déjà recyclés, elle donne
naissance à des enfantillages fastidieux, inanimés, elle se renie et ne mérite
que le mépris, surtout de ceux qu’elle fait vomir, qui la vomissent, adeptes
abjects du ciné pasteurisé, subventionné, récompensé, à Cannes ou non. Quand
des artistes audacieux, joyeux, sérieux, décident d’aborder de manière directe,
pas simplette, le corps, la mort, l’absence de santé, l’omniprésence de
l’insanité, le malheur peut alors friser le sublime, cimes populaires à
proximité de The Unseen. Ici, en Californie, à côté de festivités
commémoratives, mémoire d’immigrants venus du Danemark, un trio de journalistes
féminines met au jour un secret d’enfance, de maltraitance.
Le fils du frère et de la sœur fait
peur mais finalement moins que ses frères (in)humains, inutile de prier Dieu ou
ses saints (Joseph) de salle de bains, absents, statufiés, de nous absoudre,
vade retro Villon. Le reportage touristique vire vite au huis clos horrifique, à
la cave de cadavres. Tandis qu’il ne reste plus en ville une seule chambre de
libre, même à l’hôtel/musée déserté, la survivante vaillante essaie de rester en
vie, de s’extraire du manoir/mouroir, in
extremis rejointe par son amant remercié, recalé, je n’accoucherai pas de
toi, même si je t’aime, sportif blessé, à l’impuissance à double sens,
retrouvailles au bord des funérailles. La sister
traumatisée, révoltée, à main armée, se fera in fine justice, vaincra le parricide sous la pluie, vengera le trépas
de son innocent tout sauf dément, assassin par hasard, inconscience, ogre
comique et pathétique, sorte de Leatherface démasqué, démuni, ne demandant que
de l’amour, du ludique, de la compagnie. Le cinéphile familier des films
d’effroi reconnaît à la lecture de ce résumé des échos à Frankenstein (James
Whale, 1931), à Phenomena (Dario Argento, 1985), au Sous-sol de la peur (Wes
Craven, 1991), à Castle Freak (Stuart Gordon, 1995),
classement chronologique. Doté d’une distribution digne d’éloges, mentions
spéciales à Barbara Bach (Je suis vivant !, Aldo Lado,
1971, Le Continent des hommes-poissons + Le Grand Alligator, 1979,
Sergio Martino et bien sûr L’Espion qui m’aimait, Lewis
Gilbert, 1977), à Lelia Goldoni (Shadows, John Cassavetes, 1959, Alice
n’est plus ici, Martin Scorsese, 1974, L’Invasion des profanateurs,
Philip Kaufman, 1978, Devil Inside, William Brent Bell,
2012), à Sydney Lassick (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Miloš
Forman, 1975, Carrie au bal du diable, Brian De Palma, 1976, L’Incroyable
Alligator, Lewis Teague, 1980, Ratboy, Sondra Locke, 1986) et, last but not least, au bluffant Stephen
Furst, gosse-colosse dans le rôle d’une carrière ; éclairé par un
directeur de la photographie doué, le Roberto A. Quezada de Phantasm
(Don Coscarelli, 1979), The Unseen constitue un grand petit
film fol filmé avec une rationalité irréprochable, précise, discrètement
puissante.
Peu importe si le principal
intéressé, peu prolifique, Danny Steinmann, renia ensuite le résultat, jusqu’à
signer son opus obscur, lumineux, co-inspiré par Stan Winston, d’un pseudonyme anonyme. J’ignore en vérité ce que vaut son Vendredi
13, chapitre V : Une nouvelle terreur (1985), je confesse m’en ficher assez, toutefois je puis vous assurer de la beauté abîmée de The
Unseen, de sa capacité à délocaliser le gothique sudiste en terre
solaire. Quelque chose de l’univers de William Faulkner resurgit durant une
heure et demie très structurée, équilibrée, à l’ouverture taiseuse, quasiment
haineuse, à la fermeture en silence, en désespérance. Le réalisateur cadre au
cordeau, pratique le montage alterné, remarquez la première mort habilement
tressée à la trivialité d’un volatile décapité, prend au sérieux son argument,
ses accidents, ses tourments d’outre-tombe, cf. le spectre paternel, porté sur
le châtiment misogyne, en train de s’entretenir avec son rejeton manieur de
ceinturon. Film confidentiel, essentiel à sa manière modeste, sincère,
radicale, conviviale, The Unseen s’apprécie à l’instar
d’un conte pour adultes rempli de tumulte, de luttes, de solitudes, de
finitude. Certes, la tragi-comédie indépendante, financée par un papounet
friqué, collectionneur, esthète, ne (se) prête guère aux galéjades, certains
estimeront son humour noirissime morbide, indeed.
Cependant voici le cinéma qui persiste à m’intéresser, qui résonne avec ma
sensibilité, qui nécessite quelques lignes, une exhumation d’occasion.
Irez-vous le visionner sur mon conseil, ma recommandation, vous laisserez-vous
convaincre par ma défense et illustration d’un corpus d’atrocités, de lucidité, de malfaisance, de
résistance ? La réponse vous revient, je n’y puis rien (de plus). Je viens
de voir The Unseen et le remercie ainsi, à distance, en confiance, pour
cette soirée souriante, attristée, néanmoins stimulante, pour avoir su me
rappeler ce que pouvait procurer une perspective particulière de l’incessant
ciné.
Commentaires
Enregistrer un commentaire