The Prodigy : La Main à couper
Mourir, revenir, cercle cyclique, tract de no kid.
J’suis dans un État
proche de l’Ohio
J’ai le moral à zéro
Isabelle Adjani
On sait, depuis Le Tour d’écrou de Henry
James (1898) et par conséquent Les Innocents de Jack Clayton &
Truman Capote (1961), qu’il vaut mieux se méfier des gamins mielleux prénommés
Miles. What’s wrong with Miles? se
demandent l’accroche de l’affiche et surtout ses parents apparemment sans
profession, toutefois propriétaires d’une confortable maison. D’abord
sceptiques, ils découvrent vite la réponse impensable, insupportable :
l’âme d’un tueur en série réside à l’intérieur du gosse cru précoce, sinon
surdoué, tant pis pour son asocialité. Comme dans Audrey Rose (Robert Wise,
1977), clin d’œil indien compris, il s’agit donc d’une histoire de
réincarnation et non de possession, range-moi fissa ce crucifix, mon ami(e),
même si Tripp Vinson produisit jadis l’estimable Exorcisme d’Emily Rose (Scott
Derrickson, 2005) et le dispensable Le Rite (Mikael Håfström, 2011). En
montage alterné, en États étrangers, la donneuse de vie et le donneur de mort
crient en écho, en stéréo, et le cadavre adulte capturé en diagonale, en
plongée, rime avec le nourrisson essuyé, idem
cadré. Commencé en vraie-fausse suite de The Woman (Lucky McKee, 2011), le
métrage d’effroyables enfantillages se termine en mode La Malédiction (Richard Donner,
1976), en boucle bouclée de forêt traversée, de fugitive devenue punitive,
d’infanticide in extremis fichu.
Soumis à l’esprit du Hongrois fada, bricoleur de malheur(s) porté sur les mains
coupées, le corps vide, livide, s’en sort, se trouve aussitôt une famille
d’accueil accueillante, excitante, mate-moi la mimine de la maman
gnangnan ; une seconde fin, superflue un brin, nous mène à sa chambre à
son nom, matérialise au multiple miroir, une ultime fois, sa malveillance
démente, son reflet trafiqué.
Auparavant, un insecte sur une vitre,
une baby-sitter de douleur, un
écolier scientifique, une chienne malchanceuse, un père pleurnicheur, une
survivante trop bienveillante, firent les frais du schizophrène en herbe, à
l’hétérochromie jolie, « beau oui comme Bowie », Isabelle bis. Tout ceci, saisi en widescreen, séduit assez, grâce à son
soin, son sérieux, sonne certes un peu creux, ne saurait rivaliser avec le Shock
(1977) incestueux de Mario Bava, voilà voilà. Écrit par Jeff Buhler, le
scénariste de The Midnight Meat Train (Ryūhei Kitamura, 2008) et Simetierre
(Kevin Kölsch & Dennis Widmyer, 2019), l’argument demeure ridicule mais il
permet pourtant d’interroger l’acquis et l’inné, la nature et la culture de la
progéniture impure. Le papa de Miles dut lui-même s’émanciper de son paternel
cruel, apprendre à apprivoiser la colère délétère et sa mère court après une
chimère, l’enfant souffrant qu’elle connaissait, qu’elle aimait, définitivement
enfui. Sous le plaisant et peu renversant petit exercice de pédophobie apparaît
ainsi un double mélodrame de maltraitance, une fable sur la fin de l’enfance,
un conte de fées défait, à la mélancolie canadienne, molto Ontario. Il existe
actuellement un courant dominant de l’horreur sur grand écran, celui, lucratif,
inoffensif, de « l’univers Conjuring », notez le
compositeur Joseph Bishara en point commun, sorte de train fantôme atone,
monotone, à réserver aux médiocres mômes. The Prodigy (Nicholas McCarthy, 2019),
similaire et différencié récit d’une famille aux prises avec le surnaturel
mortel, s’apparente plutôt à une épiphanie dépressive, à une démonstration de
désespérance dotée d’une discrète radicalité, je pense au pied par le verre
entaillé, à l’assassinat de Margaret, émouvant et violent, éventration
évocatrice, propice à ravir les cinéphiles épris de psychanalyse.
Ici, au sein d’une grisaille funeste,
l’Ogre et Poucet fusionnent, les femmes perdent leur membre, leur raison, leur
vie. Le cinéma, art d’images, manie la métaphore, image littéraire, alors
lisons l’item en allégorie de nos
démons à domicile, sens duel, de nos transmissions-malédictions, de la mauvaise
graine à la monstruosité germée en accéléré. Toujours classique, jamais
cynique, cet opus à succès modéré esquisse
ses personnages, son saccage, sa berceuse fielleuse, reste à la surface et affirme
toutefois une constante sincérité, un casting
choral compétent, dominé par la performance divisée du juvénile Jackson Robert
Scott, rescapé de la bouche d’égout du Grippe-Sou de Ça (Andrés Muschietti,
2017), une direction de la photographiée racée, signée Bridger Nielson. Ni
honteux ni prodigieux, The Prodigy pouvait faire mieux,
constitue un divertissement élégant au bord de l’inconsistant. Tandis que En
pleine tempête (Wolfgang Petersen, 2000) s’imposa, autrefois, via votre serviteur, en projection
parfaite sur une liaison insulaire, en pleine mer, ce titre-ci devrait amuser,
au moins durant une heure et demie, les personnels du service Natalité, en
France ou à l’international. Afin de frissonner au sujet suggéré, exagéré, des
maternités maudites, du fruit pourri et adorable des féminines entrailles, on
pourra, sans regrets, préférer remater le Rosemary’s Baby de Roman Polanski
(1968), ouvrage ironique, prophétique, mordant et dérangeant, qui s’achève,
hors-champ impressionnant, là où débute le film éphémère et cependant fréquentable,
en soirée, en semaine, du sieur McCarthy.
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