Gloomy Sunday : Je hais les dimanches
L’Histoire et l’histoire, la solitude des esseulés, le salut des
stoïciens…
On connaît la chanson : en 1933,
date maudite pour l’Allemagne, le pianiste Rezső Seress publie une composition
appelée à lui allouer une pérenne postérité. La mélodie mélancolique en do
mineur se voit équipée de paroles d’abord politiques, apocalyptiques, ensuite
suicidaires, merci au poète séparé László Jávor. S’opère ainsi un passage significatif,
d’une angoisse existentielle, contextuelle, d’exilé hexagonal, s’adressant au
divin, à une lamentation sentimentale d’amant prometteur, je te rejoindrai
vite, mon pauvre cœur. Précisons aussitôt que la réputation de pousse-à-la-mort
s’avère usurpée, relève de la rumeur en vérité infondée, de l’argument
commercial macabre. Il existait mille et une raisons de se suicider, en Hongrie
ou à Paris, durant cette décennie, non ? Unisexe, la chanson du soupçon,
tube tabou, enchanta des chanteurs, des chanteuses, se traduisit en français,
en anglais, en japonais, en russe, en finnois, en sud-coréen, en allemand,
cosmopolitisme majoritairement dépressif. En 1941, Billie Holiday
l’immortalisa, rêveuse, se fit réduire au silence, à la seule version
instrumentale, par les censeurs susceptibles de la BBC, reflet inversé des
nazis interdisant brièvement Lili Marleen, amen, pour les mêmes raisons de supposée démoralisation. L’interprétèrent
itou, avec plus ou moins de réussite, liste bien sûr tout sauf exhaustive, mais
écourtée, écoutée, Damia, Paul Robeson, Artie Shaw & Pauline Byrne, Ivan
Rebroff, Ray Charles, Lydia Lunch, Elvis Costello & The Attractions,
Christian Death, Sinéad O'Connor, Marianne Faithfull, Björk, Loreena McKennitt,
le Kronos Quartet, Sarah Brightman, Branford Marsalis, Lucía Jiménez ou
Sanseverino, je suis, oui, la chronologie jolie. Au cinéma, l’opus sut inspirer Jacqueline Audry en
48, Rolf Schübel en 99.
En 1987, Serge Gainsbourg dit adieu
aux studios sans trémolos, se déguise en Gainsbarre, arrêté pour détournement
de minorité, fait du funk et manie
Mallarmé, son « coquillage marin » utérin, cunnilingus alcoolisé, localisé entre une fellation et une sodomie
de/sur Samantha, treize ans et toutes ses dents de droguée, au prénom en
probable clin d’œil salace à la Samantha Geimer envapée/abusée dix ans plus tôt
par le condamné/pardonné Roman Polanski. Avant de virer sa cuti en coda,
désormais engagé dans la Légion de Marguerite Monnot & Raymond Asso, le
narrateur ironique reprend les lyrics
de François-Eugène Gonda & Jean Marèze, les assortit d’insultes tendres
d’épris déçu, les remodèle à sa manière en maître du franglais – « je
mourrai un dimanche » devient donc « je crèverai un Sunday ».
Placé (sous le soleil) exactement au mitan de l’album, son dimanche sombre à lui se caractérise par le contraste
entre la déclamation mélodramatique, sens duel, étymologique et scénique, et
l’énergie jazzy, quasiment chaloupée,
supportée par le sax, le son, de Stan Harrison. Cette volonté d’en finir en
raison de l’absence de l’intéressée, sorte de variation définitive du
verlainien Je suis venu te dire que je m’en vais (1973), se signale ainsi
par son optimisme modéré, sa stimulation assurée. Loin d’inciter au suicide, le
titre présage du départ pacifié, du surprenant happy ending. Ici, pas de Manon à vous faire perdre la raison, de
Melody Nelson crashée en avion, de Marilou sous la neige carbonique, le crâne
fracassé à coup d’extincteur, en mode Dupontel (Irréversible, Noé, 2002).
Le couple impossible split, cela et
rien de plus, à +, bye-bye, Sammy
irrésistible, insupportable. Blême bémol en 68, notre compositeur s’étrangle,
geste de survivant épuisé.
Nicolas PEYRAC s'accompagnant de sa guitare interprète en direct "So Far Away From L.A".
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=bT-RZvyBRSE&list=LLolsNCswpWMMProKnd83a2w&index=11
Nicolas par Nolwenn :
Supprimerhttps://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2019/02/folk-je-taime-melancolie.html