Retour à Montauk : Ghost


Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Volker Schlöndorff.


Si ce téléfilm minable, interminable, croit représenter la « culture européenne », Bruxelles peut se faire du souci et la cinéphilie aussi. Démonstration assez sidérante de cinéma petit-bourgeois, censé s’intéresser au triste sort des esseulés, des paupérisés, par exemple attachée de presse dépanneuse-menteuse + partenaire-publicitaire solitaire, Retour à Montauk (2017) repose sur un argument affligeant, constitue un sommet de ciné inanimé. Les plus épris de parallélisme pourront rapprocher Schlöndorff de Wenders, se préoccuper d’analyser comment un réalisateur allemand perçoit une partie des États-Unis, métropolitaine, maritime, apprécier peut-être la petite pique envers l’irréalisme sucré des métrages du joli-poli Woody. Les plus sentimentaux s’émouvront du triangle à la con, de sa nostalgie rassie, surtout après Tarkovski, des bonheurs/malheurs de leurs confortables cœurs. Les plus psychologiques pointeront la psychanalyse à base d’hypnose de Rebecca, capable, ne riez pas, de revivre par procuration, selon sa propre peau, le trépas de son Marcus modèle, amoureux du minimalisme, mince. En vérité, le vide vaniteux du romancier en représentation symbolise celui de l’entreprise, digne des soins palliatifs, l’enlisement de l’automobile diffusant Dylan & Mahler, Seigneur, reflète celui du film infime, infirme. L’auteur du Tambour (1979), de Un amour de Swann (1984), de Diplomatie (2014), très dispensable trilogie adaptative, décorative, pseudo-historique, signe ici une pleine ineptie, un soap se souhaitant sarcastique, un ratage spectral en effet peuplé de « fantômes », non par funeste finesse, plutôt par pénible paresse. Escorté par l’écrivain irlandais Colm Tóibín, le père Volker transpose Max Frisch, ne donne guère envie de découvrir le matériau d’origine.


Pire, il entraîne au sein de ses abysses des gens de talents, notamment Bronagh Gallagher, croisée naguère dans Les Commitments (Alan Parker, 1991) ou Mary Reilly (Stephen Frears, 1996). Alors que Niels Arestrup se délecte en collectionneur au bord de l’abject, en ersatz de DSK porté sur Paul Klee, Nina Hoss & Stellan Skarsgård ressemblent à de malaisants somnambules, dirigés de manière médiocre par un émule anémié de Caligari, pardi. Retour à Ithaque (Laurent Cantet, 2014) optait pour le choral à Cuba ; Retour à Montauk miroite deux duos en toc, se moque du moment, du monde, du remords, du spectateur trop patient, clément. Sous son glacis social, son vernis d’ironie, se dissimulent à peine un mépris pour la vie, pour l’expérience existentielle d’être en vie, une méconnaissance confondante des enjeux et des puissances du « septième art », confondu avec un auteurisme pasteurisé, au romantisme momifié, autant incompétent dans le maniement du champ-contrechamp épuisant que la peinture des passions, l’esquisse du processus de création/destruction, va vite te rhabiller, gérontophile réfrigéré, face au triolisme similaire, différencié, inspirant, inspiré, du Festin nu (David Cronenberg, 1991), misérable malotru. Au-delà du désastre individuel, certes anecdotique, voire pardonnable, comparé à un cancer, aux milliards de misères des hommes et des femmes sur la Terre, la baudruche balèze, musiquée avec des morceaux de Max Richter, pas ses meilleurs, entérine par extension l’échec d’un certain cinéma contemporain, autorisé, subventionné, sélectionné en festivals bancals. Aujourd’hui, mon ami(e), tu disposes disons de trois choix à la Charybde & Scylla, tu dois consommer en salles du drame dérisoire, de la comédie œcuménique, cynique, du super-zéro étasunien, mythologie mercantile, aréopage de rien.


« Toute société a les crimes qu’elle mérite » affirmait l’affiche du Assassin(s) (1997) jadis commis par le sinistre et moralisateur Mathieu Kassovitz – les films idem, puisque l’on persiste, par abus de langage, par habitude d’un autre âge, à désigner ainsi de semblables excréments insipides, car l’on appelle encore « cinéma » ce type de pitoyable produit culturel européen, prévisible programme de chaîne franco-allemande, empestant l’absence d’effort, puant la mort. En coda sympa, en train de se casser, Clara déclare qu’un ghost, ça ne se « baise » pas, mon gars ; en réalité, le cinéphile/citoyen se fait baiser, à sec, avec complicité, oisiveté, inertie, courtoisie, depuis longtemps, pour combien de temps ? Nietzsche, on le sait, incitait à philosopher muni d’un marteau, tant pis pour le papounet hégélien du mou Maxou : devant la vacuité vaseuse de Retour à Montauk me vient l’envie d’un tomahawk, à manier dépourvu de pitié, sentiment « d’esclave », Friedrich s’en fiche, contre toutes les idoles crépusculaires de la modernité, au cinéma, au-delà. La révolution, « pauvre con » ? Un horizon, une sécession, une inhumation, une nécessité révoltée, en mode Camus, accessoirement la détermination de ne plus jamais perdre ses précieuses secondes à cause d’un blême item de cent dix minutes, déjà résumé dès sa bande-annonce.


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