Journey to the West: Conquering the Demons : Monkey Business
Chérie, je me sens rajeunir, car tu conjures le pire…
Nous voici bien loin du sien Bons
baisers de Pékin (1994), salué par mes soins : avec ce colossal succès
en Asie, pas même distribué ici, Stephen Chow « fait le show »,
paraît se prendre pour un certain Tsui Hark, qui ensuite en réalisera la suite,
tout aussi lucrative, à l’intitulé lucasesque, Journey to the West: The Demons Strike Back
(2017). Co-réalisé par Derek Kwok, co-écrit par des scénaristes en série,
éclairé par Sung Fai Choi (Détective Dee 2 : La Légende du Dragon des
mers, Tsui Hark, 2013 + Détective Dee 3 : La Légende des Rois
célestes, Tsui Hark, 2018) et musiqué par Raymond Wong (The
Lovers, Tsui Hark, 1994 ou Shaolin Soccer, Stephen Chow, 2001),
ce conte moral, presque bancal, mérite d’être visionné en 480p, en VOST en
anglais. Si, au Japon, aux États-Unis, la monstruosité marine nécessite des
scientifiques, de l’atomique, cf. Godzilla (Ishirō Honda, 1954) ou Piranhas
(Joe Dante, 1978), ici, on se passe de ça, on substitue au politique, à l’historique,
Hiroshima ou Vietnam, du poétique, placé sous le signe du karma, « différence
culturelle », comme disent les dérisoires sociologues. Ainsi, un vrai-faux
kidnappeur de gosse, lynché au passé, revient désormais dévorer les parents et
les enfants d'un village lacustre, sous la forme fascinante d’un gros poisson
féroce, certes moins sadique, onirique, que le Freddy Krueger de Wes Craven (Les
Griffes de la nuit, 1984), autre fameuse mauvaise conscience, victime
coupable, collective, guère magnanime. Aquatique, drolatique, horrifique,
mélodramatique, dynamique, la première partie de l’opus vaut à elle seule sa découverte, modèle de mélange des
tonalités, de mouvement(s) sachant conserver sa/leur lisibilité, de
multiplication de l’action, des actions, en témoignage de maîtrise, de
générosité.
Chow & Kwok retravaillent un
héritage ancestral, pas uniquement celui du cinéma spécialisé de HK,
synthétisent en séduisantes images de synthèse, ancrées dans le réel pluriel,
sensoriel, l’ensemble d’une civilisation, sa grâce pas « dégueulasse »,
dirait Serge Gainsbourg, voire Gainsbarre, puisque la séquence, assez
sidérante, toujours surprenante, ruisselle d’énergie, de calligraphie, de
comédie et de philosophie. En effet, afin de défaire le démon, d’exorciser sa
juste malédiction, le pragmatisme défie l’humanisme, opposition de stratégies
et guerre des sexes sous-jacente, à coup de recueil de comptines et de boules
coercitives. Il manque au moine non rémunéré « l’illumination » du
bouddhisme, trouvée in extremis,
payée du prix élevé de la vie de sa bien-aimée, très incarnée, très amourachée,
plus repoussée, enfin adoubée, avouée, je t’aime depuis le premier regard, trop
tard. En souffrant, il comprend, notamment l’unité de l’amour, spirituel et
charnel, il dépasse la détresse, il surmonte la tristesse, il doit maintenant
marcher vers l’Est, cette fois vers les sutras, escorté par ses trois diables
dociles, domestiqués, par le visage céleste, littéralement, de son envolée
Duan. Le voyage existentiel, émotionnel, individuel, cependant se désire et se
souhaite spectaculaire, bestiaire, blockbuster,
alors le réalisateur, exit l’acteur, accumule
les combats, les affrontements à effets spéciaux, sans cesser de poursuivre le
sillon de l’illusion, de la désillusion, du dessillement, par exemple de
restaurant sanglant ou d’attaque érotomane. Finalement, malgré des chasseurs
chassés, trépassés, dont un prince « impotent », un vieillard au pied
géant, il faudra l’intervention de Bouddha lui-même, de sa main immense, pour
se débarrasser du Roi singe émancipé, délesté de pitié, il fallait que la
femme-flamme, passionnante, passionnée, réassemble à sa manière mystique le livre musical précité.
Film d’atour et d’amour, Journey
to the West: Conquering the Demons (2013) magnifie la magnifique Shu
Qi, muse d’Andrew Lau, Jackie Chan, Hou Hsiao-hsien ou Corey Yuen. Tant pis si
l’épopée, après le prologue des pêcheurs, des pécheurs, patine un peu, si
Stephen ne dispose de la vivacité, de la plasticité de Tsui, il signe un
divertissement amusant, émouvant, un titre initiatique doté d’une pensée, d’une
intensité, d’un cœur et d’un cerveau, qualités incontournables, hors d’atteinte
des conneries cacochymes US, à base de super-héros équivalant à less than zero, amitiés complices au
sieur Bret Easton Ellis.
Commentaires
Enregistrer un commentaire