L’Incroyable Monsieur X : L’Illusionniste
Curiosité datée, dépassée ? « Consultant psychique » à
consulter, puisque épatant.
Celles et ceux qui s’intéressent à la
cinematography, disons à la « direction
de la photographie », devraient vite visionner The Amazing Mr. X (Bernard
Vorhaus, 1948), va pour la VO non sous-titrée. Auteur d’un traité réputé,
programmatique-pragmatique, intitulé Painting with Light, oscarisé à
raison, à l’occasion du mémorable ballet de Un Américain à Paris
(Vincente Minnelli, 1951), John Alton y donne, en noir et blanc enivrant, une
somptueuse et stimulante leçon d’ombre et de lumière, démontre avec une
admirable maestria son savoir-faire, confère au métrage méconnu, désormais dans
le domaine public, disponible en ligne, sa magie majestueuse, soyeuse,
vaporeuse. Le film commence par du fantastique féminin, maritime, alors l’on se
dit que voici un ersatz désargenté de The Ghost and Mrs. Muir (Joseph L.
Mankiewicz, 1947), un prélude paupérisé à Pandora (Albert Lewin, 1951), mais The
Amazing Mr. X vaut mieux que cela, manie d’économiques/oniriques transparences, demeure parmi l’immanence, abandonne donc la transcendance. Ici,
peut-être tant pis, les spectres révèlent leurs recettes de présences
suspectes, l’au-delà s’assimile à une gueule de bois, lait assaisonné à la Soupçons
(Alfred Hitchcock, 1941) en sus. Un corbeau, piqué à Poe, paraphe le gothique
aquatique, afin de fissa le dissoudre, avant de s’envoler/disparaître en coda,
affranchi des roueries. Edgar Allan, peut paraissent s’en apercevoir, vouloir
le percevoir, maniait l’humour noir, se moquait du romantisme homonyme, faisait
une différence entre la « fantaisie », nocive, autarcique, et « l’imagination »,
tournée vers l’élucidation, la création, (re)lisez-moi ou pas à propos de Mary
et la Fleur de la sorcière (Yonebayashi, 2017).
Le reproche de
« morbidité », gentiment adressé par la « rationnelle »
Janet à sa sœurette, reprend l’opposition poesque, tandis que le récit
retravaille la dimension déceptive. Dans The Amazing Mr. X, l’outre-tombe
cède la place au méta, le double complot congédie les phénomènes supposés
paranormaux, le trick se substitue au
treat. À domicile, à la maison du
mage à ramage, au milieu de La Nuit des masques (John Carpenter,
1978), de La Nuit de tous les mystères (William Castle, 1959), « Chris »
finira-t-elle enfin par y voir clair, superbement éclairée par un brillant DP,
ou bien deviendra-t-elle la victime d’une machination balèze, d’une falaise
dévalée, à l’insu de son plein gré, s’accusant de « couardise »,
prête à plonger pour rejoindre son Paul accidenté, ressuscité, déjà meurtrier
de sa première moitié ? Pulvérisons le suspense,
rassurons les réticents : les arroseurs arrosés paieront le prix de leur
péché, combine de mecs en tandem, le
plus dangereux y perdra la vie, descendu par une descente expéditive, sinon
punitive, de policiers de sommet d’escalier, le plus amoureux y gagnera une
forme de rédemption, de tendre pardon. En effet, la parabole brechtienne à base
d’effets s’autorise une estimable générosité, utilise en solution narrative la
question d’une sentimentale élection. Spirite à turban étonnant, à casier d’ex-prisonnier, Alexis s’éprend, surpris,
de sa proie par procuration, se réinvente en véritable héros, met ses farces et
attrapes au service de la justice, délaisse le fric. En écho à Psychose
(Alfred Hitchcock, 1960), le prétendant impatient et la sister obstinée mènent l’enquête, essaient de démasquer le
manipulateur, de mèche avec la gouvernante de la villa, revoilà Rebecca (Alfred Hitchcock, 1940).
Un ancien magicien, présentement
privé, assiste l’avocat sympathique, même s’il qualifie Christine
« d’hystérique », et la juvénile Janet, cependant séduite aussi sec,
par l’escroc accueillant, désarmant, maître du miroir, sage de l’éclairage,
appréciez l’alter ego en mineur, farceur, du réalisateur,
du chef opérateur. Écrit, respect de la chronologie, par Wilbur Crane (L’Île
mystérieuse, Cy Enfield, 1961), Muriel Roy Bolton (Le Calvaire de Julia Ross,
Joseph H. Lewis, 1945, matrice apocryphe du Dead of Winter d’Arthur
Penn, 1987) et Ian McLellan Hunter, prête-nom de saison de Dalton Trumbo via Vacances romaines (William Wyler,
1953), co-scénariste jadis lui-même blacklisté du Un homme est mort (1972)
de Jacques Deray, L’Incroyable Monsieur X concocte un crédible casting ad hoc, composé de Lynn Bari (Arènes
sanglantes, Rouben Mamoulian, 1941), Virginia Gregg (La
Colline des potences, Delmer Daves, 1959, Opération Jupons, Blake
Edwards, idem, la voix en VO de Norma
pour Psycho),
Cathy O’Donnell (Ben-Hur, William Wyler, 1959), Turhan Bey, Richard Carlson (Le
Météore de la nuit, Jack Arnold, 1953 + L’Étrange Créature du lac noir,
Jack Arnold, 1954) et Donald Curtis (Tout ce que le Ciel permet, Douglas
Sirk, 1955 ou Les Dix Commandements, Cecil B. DeMille, 1956). Cinéaste
assuré, à la filmographie toutefois confidentielle, Bernard Vorhaus ponctue par
du Chopin, déploie la profondeur de champ, s’appuie sur des gros plans, place
la caméra en plongée, en contre-plongée, au creux de cavités insensées, lavabo immaculé, table enténébrée à
boule cristalline, âtre de cheminée chuchotante. Il sait saisir le désir, la
peur, à proximité d’un océan crépusculaire, l’érotisme discret d’un pied
déchaussé sur le sable mouillé, une rencontre au bord de l’eau presque à la Vertigo
(Alfred Hitchcock, 1958).
Doté du doué directeur artistique
Frank Durlauf, il trace un triangle, compose, au propre, au figuré, un portrait
de pianiste disparu, à l’instar de la dear
Laura
(Otto Preminger, 1944). Il arbore un heurtoir à tête de mort, un écran pictural
de vidéo-surveillance avant la lettre, il rejoue la scène en replay, il se lie à Houdini, s’affiche
avec Faust. Il raye un disque, il réunit les meilleurs ennemis parmi le même
cadre, à des niveaux différents, sorte d’astucieux split screen. En
définitive, The Amazing Mr. X constitue un divertissement séduisant,
envoûtant, amusant, une moralité de dessillement, une comédie menaçante jamais
médiocre, malgré un budget deviné
serré. Arnaqueur, point tueur, Alexis incite le spectateur à frémir, à sourire,
à essayer un petit exercice sans malice de lucidité. Homme anonyme, aux rayons
X de mise en scène, de coupure de presse, le « spiritualiste », titre
rébarbatif de titre alternatif, ne ranime pas les morts, parvient à conserver
sa vie, à récupérer la confiance des vivants. Film spirituel tressé avec des
bouts de ficelle, L’Incroyable Monsieur X s’en tient au matérialisme, se dissocie
du cynisme, esquisse des silhouettes tout sauf simplettes. Ceci s’appelle, oui,
une réussite.
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