The Card Counter : Une chance sur deux

 

L’existence, la Providence, l’âme, la Grâce…

Schrader (re)fait du Schrader, rien de révolutionnaire, ses préoccupations morales – le Bien, le Mal, la punition, la rédemption – peuvent déplaire, cependant il s’avère à tout instant assuré, sincère. Le cinéphile familier des fondamentaux affichés autrefois via Taxi Driver (Scorsese, 1976), Hardcore (1979), American Gigolo (1980), Mishima (1985) ou récemment First Reformed (2017), ainsi se (re)trouve vite en terrain (re)connu, presque convenu, aux cadres au cordeau, au rythme mesuré, à l’autarcie ouatée. Casinos écumés illico, tourmenté molto, mobilier de motel empaqueté comme Christo, sa vengeance surgelée cédée à (Monte-) Cristo, « William Tell » essaie de se semer lui-même, pas de bonne pomme à transpercer, de pouvoir à renverser, plutôt un gros fardeau à porter, à se tatouer, à s’imposer, une modestie de mise et de mises, jusqu’à la rencontre avec un fils juvénile, endeuillé, déboussolé, guère cultivé, très décidé à faire payer, kidnapping et roulette russe inclus, le prix élevé d’atrocités d’Amérique nordiste, d’injuste justice étatique, jadis de saison, commises en réunion, Abou Ghraib visualisé en perspective déformée, cauchemardée, à la limite du POV en VR ou 3D, enfer à tortionnaires de surprenante séquence en travelling avant de plan-séquence, lorsque des souvenirs davantage subjectifs, plus silencieux, quoique, encore réveillés au creux du pieux, miroitent la saleté des actes au moyen d’images à leur image. The Card Counter (2021) carbure à la culpabilité décuplée, individuelle, intime, dialogue donc à distance avec celle, médiatisée, plurielle, anonyme, de Redacted (De Palma, 2007). Si le cinéaste de Outrages (1989) portraiturait itou une poétique, une politique, tous acteurs/spectateurs/réalisateurs d’une réversible horreur, viol + féminicide en prime, le scénariste de Obsession (De Palma, 1976) ne se déleste de son sens un brin bressonien du classicisme subjectif, narratif, à fissa transformer le film en confession masculine, structurée en boucle bouclée d’emprisonnement discipliné, apprécié, émancipé.


À jamais traumatisé par l’épilogue chouette de Pickpocket (Bresson, 1959), cf. la fin du destin du Richard Gere, notre apôtre Paul le revisite à nouveau ici, désormais placé sous le signe du sourire mutique, d’une concorde d’index noir et blanc associés sur grand écran, fi de la frontière en verre, séparation-réunion carcérale et interraciale, vocable à vomir usité aux désunis USA, oui-da, en écho à Michel-Ange, mon sombre ange. Car The Card Counter réutilise à sa guise le martial triolisme de Yakusa (Pollack, 1975), en partie co-écrit par les frères Schrader, appréciez le japonisme discret à l’entrée du parc aux structures électriques colorées, histoire d’amitié puis d’amour adulte, sans tumulte, à scène de sexe puritaine, pudique, disons domestique, surtout par rapport à l’érotisme racé, nocturne, fébrile, de La Féline (Schrader, 1982). Adoubé par Obama et les Cahiers du cinéma, ouh là là, ponctué de paroles (musicales) dispensables, Marty produit, effet playlist garanti, interprété de manière remarquable, mention spéciale à Tiffany Haddish, à sa tendresse lucide, sexy et complice, l’opus de poker, clins d’œil adéquats à L’Arnaqueur (Rossen, 1961) et Le Kid de Cincinnati (Jewison, 1965), ne manque de cœur, un peu de suspense, comporte un Ukrainien crétin, malin, Bill en voix off voudrait bien lui faire bouffer la bannière étoilée. Sa moralité désenchantée, pas désespérée, rappelle en bref, dans le sillage de Snake Eyes (De Palma, 1998), que l’argent n’achète rien d’essentiel, d’existentiel, a posteriori la tranquillité d’esprit, que la chance ou la malchance ou la seconde chance jouent un jeu sérieux, dangereux, à l’ombre constante et clinquante de la mauvaise conscience, que le suicide s’associe au sacrifice, l’infanticide au parricide, les crimes de guerre aux conférences sécuritaires. Radiographie radicale d’un pays de proche passé, d’impossible oubli, du commerce des armes sans états d’âme (en peine), la France effarante de Monsieur Macron, épicier décomplexé de Rafale à Dubaï, peut toutefois (se) la fermer, nous épargner son sempiternel couplet d’antiaméricanisme complexé (la Libération, admettons), de droits de l’homme de fait désormais défaits, discriminés, emmerdés, pas vrai, The Card Counter raconte, (re)fait les comptes, conte/compte de cartes patraques, d’addiction par procuration, autorisée, aseptisée. Au royaume macabre et monotone, statistique et psychologique, répète, expie, choisis la/ta vie.

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