La vie est un long fleuve tranquille
Un métrage, une image : Madres paralelas (2021)
Pendant le prologue, Penélope se
prend un peu pour Faye (Les Yeux de Laura Mars, Kershner, 1978), Cecil Beaton contre
Helmut Newton, puis se soucie subito
du squelette d’un ancêtre. Le cinéaste septuagénaire ainsi déterre les fossiles
du franquisme, marronnier mimi de l’in
situ cinématographie, sorte de
Vietnam d’Espagne, citons les noms d’illustrateurs illustres, ceux de Buñuel (Viridiana,
1961), Saura (La Chasse, 1966), del Toro (L’Échine du Diable, 2001 + Le
Labyrinthe
de
Pan,
2006) ou Malraux (Espoir, sierra de Teruel, 1940), Loach (Land and Freedom, 1995), Aurel (Josep,
2020). En vérité, la division passée, presque sous silence, recherche de
hochet, d’alliance, se réduit à un moralisme intime, intimiste, bancal,
national, assorti d’un soupçon de saphisme, sur le Summertime de Janis
Joplin. Téléfilmé, anémié, désincarné, dépassé, Madres paralelas
enfonce des portes ouvertes alors qu’il croit faire des découvertes, dont celle
de Milena Smit, aussi transparente que Cécile de France, maman adolescente
endeuillée, fifille de divorcée, de surcroît victime de chantage, d’outrage, de
viol en réunion, enregistré à l’unisson. Quant à Cruz, primée à Venise via un jury indulgent, elle pleurniche,
elle s’inquiète à peine de la santé du mari de sa « bonniche », elle
parle avec (elle) une actrice, elle-même au bord des larmes, à table, « pire mère »
et « apolitique » à « de gauche » confères. Le mélodrame
maternel dédoublé, démultiplié, puisque les veuves arrivent in extremis,
impose donc l’impératif de la connaissance du pedigree du pays, inhumation versus
amnésie, pourtant il n’analyse ni ne retrace le traumatisme vivace, opte pour
l’histoire orale, se repaît de pathos. Si ce film infime, inoffensif, dont
l’œcuménisme de triolisme et de dolorisme caractérise en profondeur son essoré
auteur, provoqua la polémique hispanique, le chœur féminin voulu tragique,
antique, s’assimile en mineur, en sourdine, en noblesse de tristesse, voire
l’inverse, à la marche musicale des supposées émancipées de La
Bonne
Épouse
(Provost, 2020). Ici, on baise au bourgeois soleil, en plongée d’aplomb, drap
blanc voletant, signal papal relooké, délocalisé ; on se régale d’une
grosse glace à la fraise, à l’aise ou malaise ; on se fait la bise, on se
serre la main, on ne se masque à aucun moment, simulacre au carré de l’écran,
d’un produit aseptisé du « monde d’avant ». Aitana Sánchez-Gijón (Les
Vendanges
de
feu,
Arau, 1995, L’Été où j’ai grandi, Salvatores, 2003, The Machinist, Anderson,
2005), racée, aristocratique, exécute un tour de piste, s’éclipse,
l’inséminateur se transforme en définitive en fossoyeur. À base d’échanges, de
souvenances, de souffrances, le récit se construit sur une boucle bouclée de
natalité, de mortalité, se termine en regard de gamine, immobile happening, citation d’anti-mutisme.
Après le plantage des Amants passagers (2013), ces parallèles
pasteurisés paraissent pâles face à la noirceur majeure de La Mauvaise Éducation
(2004) et La piel que habito (2011). Comme à
Eastwood, encore en raison de notre estime, il conviendrait d’inviter Almodóvar
à démissionner, à éviter de resservir du réchauffé ripoliné, pensum bien-pensant à l’écart du
troublant et puissant Cría cuervos (Saura, 1976),
autre conte d’une autre trempe consacré à la maternité tourmentée, aux fantômes
ranimés, au futur enraciné.
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