Les Tueurs

 

            Un métrage, une image : L’Empire du crime (1972)

       Il manque vingt minutes à la VF disponible en ligne, ce que l’on visionne, merci à l’amie italophone, séduit, suffit. La mala ordina, c’est-à-dire La Mafia commande, se divise en moitiés minutées : une première d’exposition(s), une seconde d’exécution(s). La séparation, reprise par les titres alternatifs Passeport pour deux tueurs + Manhunt in Milan, survient à l’occasion d’un double féminicide, tandem de dominos provoquant illico la tombée/trépas de presque tous les autres, à l’exception du commanditaire américain, car à l’écart de cette Italian Connection, intitulé calqué sur un succès, idem camé (French Connection, Friedkin, 1971), aux allures d’imposture(s), sinon d’oraison(s). En bonne logique symbolique et graphique, la multiple poursuite se termine au creux d’une casse automobile, où doit dormir la belle bagnole fracassée du Fanfaron (Risi, 1962), comme si, à dix ans d’intervalle, à un rythme en effet infernal, de damnés pas un brin viscontiens, de types pathétiques, conscients de leur faux-semblant, néant, enterrement imminent, il s’agissait aussi de portraiturer une disparition, incarnation d’un état d’esprit, métonymie d’un pays, de redire la fête finie, ici celle foraine, fantomatique, à la limite du fantastique, de l’horrifique (revoyez Carnival of Souls, Harvey, 1962, Massacre dans le train fantôme, Hooper, 1981). Durant la décennie soixante-dix, le capitalisme transalpin un peu s’éclipse, supplanté par le terrorisme, L’Empire du crime témoigne de ceci, passage de témoin malsain, aux témoins (ou conjoints) à dégommer, gomme sur le bitume, mort(e)s sans sépultures. Après l’assassinat au carré, routier, commis en son milieu, le métrage change de régime, délaisse la satire en sourdine, (dé)passe toutes les vitesses, accumule les excès de vitesse, bloc d’énergie noire, pulsionnelle à la pelle, qui ne peut conduire qu’au précité mouroir, cimetière des cercueils sur roues, plus en bois, de chauffards aux abois, en rime au Cimetière de la morale (Fukasaku, 1975) jadis dessiné, au propre, au figuré, par Leone le pionnier (Le Bon, la Brute et le Truand, 1968). Suivant le sillage d’outrages de Milan calibre 9 (1972), Di Leo signe donc un acte de décès, d’abord documenté, ensuite survolté, une danse macabre d’épaves (voyous, voitures), tresse l’ivresse de la vengeance à la détresse de l’absence. Film d’écrasement(s), d’épuisement, L’Empire du crime n’épargne personne, ni les femmes, ni l’enfant, ni le chaton, ni les mectons. Mac aimable, entre le Mack the Knife de Brecht (L’Opéra de quat’sous) et l’entrepreneur Schukert de Fassbinder (Lola, une femme allemande, 1981), père apprécié, séparé, mari tourmenté, « sale type gentil », (Super Mario) Adorf morfle, faux coupable impitoyable, Sisyphe de (mission d’extermination) suicide, abasourdi par l’absurdité de sa destinée. Face à cet insaisissable et increvable justicier (dans la ville) très radicalisé, délesté de la moindre idéologie, carburant à la colère, à la mélancolie, Mesdames Benussi (la putain), Coluzzi (la hippie), Koscina (la maman), Paluzzi (l’hôtesse) prêtent leurs traits à un faisceau de féminité(s) affable et sacrifié, Messieurs Celi (lucide, à cendrier en croix sculpté !), Fabrizi (l’indic), Macchia (la balance), Silva (souriant), Strode (obsédé), matérialisent une masculinité en coda, en résumé, condamnable et condamnée…     

Commentaires

  1. Le capitalisme a muté dans ces années-là en économie de la terreur (Trafics mafieux de toutes sortes à l'appui du système financier bancal) en résumé dans le film : un "cerveau" dans un empire activant une grande machine à broyer, le tout filmé avec justesse et brio, en réalité dans l'Italie des années quatre-vingt, l'horreur était quotidienne et le plus tragique était que la vie n'en semblait même pas empêchée pour autant, ça continuait comme si de rien n'était , alors que tant de choses indispensables à la vie commune étaient peu à peu liquidées, chacun instrumentalisé à sa manière et a ses dépens, énergie du désespoir oblige...Merci pour la dédicace qui ne dit pas son nom.

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    1. Cette description correspond aussi à la France d'aujourd'hui...

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    2. En effet oui, et aussi beaucoup d'autres pays, il ne manque plus que la puce pour en faire de ces zombies, activés, désactivés, boostés aux ordres d'un algorithme planétaire...brrrrrrrr.......

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    3. https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2017/07/lhomme-tranquille-remercier-george.html

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