Si Versailles m’était conté…
Un métrage, une image : La Prise de pouvoir par
Louis XIV (1966)
Biopic
pédagogique ? Démonstration de didactisme ? Plutôt poursuite et
rupture. Rappelons aux juvéniles générations que la superproduction, à laquelle
emprunter le titre de cet article, date de 1954, que La caméra explore le temps vient
de s’achever la même année, en mars 1966, sept mois avant la diffusion de l’opus a
priori apparenté, sur la même et seule chaîne diffusé. Ni Guitry ni
Lorenzi, Rossellini cède les stars à
autrui, la longueur aussi, se moque des énigmes classées historiques, des
figures fameuses et mystérieuses. Orfèvre de l’ORTF, il se focalise sur un
épisode précis, ose un dédoublé pari. La prise de pouvoir du roi célèbre
revient en vérité à la sienne, la stratégie de Louis reflète presto celle de Roberto. Du dix-septième
au vingtième siècle, le spectacle en société se donne à (re)voir via la société du spectacle, non plus
réservé à la noblesse mais servi à la masse. Sans cesse en représentation, du
lever à l’oraison, du « devoir conjugal » accompli au lit au repas pris
en esseulé, en réunion en réalité, dévoilement de travelling, le monarque se désape et se démasque in extremis, (ré)cite des maximes célébrissimes,
La Rochefoucauld illico, où du
rayonnement admirable ou mortel puiser l’idée. Le spectateur d’hier et
d’aujourd’hui assiste ainsi à la naissance d’une personnalité, d’une puissance,
d’une certaine France. Alors le costume et l’architecture, le faste et bien sûr
les glaces, galerie jolie, s’apparentent à des outils politiques, maniés de
main de maître par un « mec comme un autre », que personne, pendant
le prologue, ne prend au sérieux, tant pis, tant mieux. Fellini en autarcie
animait la distribution et la reconstitution de Satyricon (1969) en marionnettiste très directif, pure présence
experte d’absence de son direct. Rossellini in
situ met en scène un metteur en scène, en reflet, au carré, car Jean-Marie
Patte spécialiste du théâtre, incarnant ou imitant au moyen de cartons,
dépourvu d’expression, modèle de Bresson, un acteur majeur, dans le rôle de sa
vie et icône du pays. Les sentiments, le surnommé Grand les réserve à sa revêche
et autrichienne maman, qu’il enlace à l’improviste, élan impulsif, geste
presque scabreux, scandaleux. Sous surveillance constante, il conserve en toute
occasion sa poker face de joueur d’abord noceur et ensuite
redresseur. Si l’éminente « Éminence » Mazarin succombe à son destin,
si des médecins à la Molière, sanguinaires, examinent ses selles, puisque
puissant ou misérable, chacun se met à table, défèque, infect, association de
la merde et de l’être, selon l’Artaud pas si marteau de Pour en finir avec le jugement de
Dieu, le successeur surprend les corps et les cœurs, se grandit en une
heure et demie, à la colle avec Colbert, il se fout du filou Fouquet, s’en
débarrasse fissa, d’Artagnan revoilà, baise express
au sein des fourrés, la chasse, ça lasse, programme une imposante sortie
d’impasse, industrielle et culturelle, égalitaire et militaire. Impassible, point
pusillanime, il miroite le cinéaste, tout (pré)occupé à son projet utopique,
cathodique, laissant à l’éducation dite nationale la formation aux métiers,
allouant à la télévision de facto
hexagonale la mission de la citoyenneté. (Télé)film d’une métamorphose aux
fondus au noir successifs, ponctué d’un unique fondu enchaîné, mode à
déterminer, réflexion en action sur l’image de soi, les apparences de
l’apparat, cette étude sociétale à succès, au modeste budget, vite tournée, remarquable et remarquée, en sus se munit, en
doux zooms, de solitude et de
mélancolie, prix à payer de la royauté, du lucide essai, condamné à échouer, a fortiori face au spectaculaire
lunaire, cf. le passage plein de rage de Fragments d’une autobiographie,
rédigé en français, SVP, au vide divertissement envahissant, pas un brin
pascalien, idem totem portraituré par
ses soins. En résumé, à l’écart de Castelot & Decaux, accompagné d’Erlanger
& Gruault, le maestro guère bergmanien ne se casse à Cannes, se fiche de
Truffaut, érige en définitive les fondations d’un édifice dédié à la
célébration de la raison, de l’aspiration, au creux duquel se côtoieront
Socrate & Descartes, les apôtres et Salvador (Allende), Michel-Ange &
Beaubourg. Élégant, éclairant, ludique et lucide, La Prise de pouvoir par Louis XIV
prouve itou les vertus du petit écran accaparé par un artiste et artisan.
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