Les Ailes du désir
Un métrage, une image : Petit Dieter doit voler (1997)
Une dizaine d’années après, Herzog
réalisera Rescue Dawn (2006), reconstitution de fiction, dont on trouve
ici la trace véritable, je pense au passage du groupe sans entourloupe,
figurants tout sauf menaçants. Parfaitement conscient de la dimension méta du
documentaire exemplaire, Dengler accepte de (re)jouer le jeu, d’incarner en
courant son propre rôle d’incroyable survivant, quitte à ce que le cœur
s’emballe, batte la chamade, au rythme du ressuscité cauchemar arrivé, réactivé
en replay. « It’s a movie, don’t
worry, buddy » dit-il aussi à une autre silhouette guère suspecte, placée
en roleplay, en silence, de voleur
d’alliance presto amputé via des Viets tortionnaires certes,
cependant « scrupuleux et honnêtes ». Si l’exercice de style
indiffère Werner, en dépit d’une bande-son délestée d’illustration, le Liebestod
de Tristan
und Isolde sur un aquarium de
méduses, il fallait oser, imager ainsi la douceur du décès sans cesse différé,
refusé, l’exorcisme narcissique ne semble stimuler le témoin faussement serein,
dont on sent bien, à l’occasion d’une interruption, d’un silence,
l’inaccessible réserve de souffrance, plus impressionnante que ses stocks en toc, illico ensevelis sous sa vaste et ouverte maison de San Francisco,
construite par ses soins parce qu’il le valait bien, méritait d’ouvrir et de
fermer ses portes murales ou picturales comme il lui plairait, manie mimi.
Orateur majeur, Dengler raconte donc son calvaire, le revit in situ,
paraît n’en être jamais totalement ni vraiment revenu. Le récit ne suffit à
Primo Levi, rescapé peut-être suicidé ; Dieter grandi, Allemand au
grand-père quasi résistant, insulté,
humilié, Américain d’une famille a priori asiatique doté, reçut les
honneurs posthumes du côté d’Arlington, PS d’un opus express chapitré en
moralité, « punishment » versus
« redemption », allons bon. « Messager du mal », héros
national, hommage médaillé détaillé mais récusé par le principal intéressé,
enfant de fabuleuse et funèbre épiphanie, adulte de survie, pris entre deux
pays en guerre, différente et similaire, atrocités sérielle, solidarité
fraternelle, spectacle patraque, abstraction de destruction, le dédoublé DD
accumule les contrastes, sa personnalité tenace ne pouvait pas ne pas
passionner le producteur/narrateur et cinéaste aventurier, qui associe en
sourdine portrait et autoportrait, images d’archives et pèlerinage revisité,
satire et sincérité. D’une citation biblique à une compilation classique et
exotique, Petit Dieter doit voler réinvente un vertigineux CV, fait se
croiser Apocalypse Now (Coppola, 1979) et Allemagne année zéro
(Rossellini, 1948), décollage et crash,
otage et (discours) cash, évocation
et décapitation, ours et rescousse, dinde et malingre. Dieter Dengler ressemble
à Bruno Ganz un brin, il retrouve l’ange gardien d’abord incertain, sympathique
et pas amnésique Eugene Deatrick, d’une surprise de rires et de larmes se
souvient, d’avoir dormi au creux des coussins d’un cockpit, havre fœtal de grand gosse souriant et morose. Précédant
l’additif des funérailles précité, le voici en train de nous inviter, voire
inciter, à admirer l’armada du « paradis des pilotes », bien sûr
survolé, CQFD. Coproduit par la ZDF et la BBC, ce rapide et dégraissé biopic digne du ciné carbure au rêve, au
marche ou crève, à l’endurance, la transcendance, à l’insanité, à l’hostilité,
à la culture, même de mort, et à la nature, adversaire décor d’aviator.
Commentaires
Enregistrer un commentaire