L’Amour à la plage
Surdité à la Beethoven ? Unité pas à la gomme…
D’une Caroline à l’autre : avant un train en train de siffler, un clébard d’aboyer, une reprise a cappella de boucle bouclée, Pet Sounds donne donc à entendre en coda dépressive un portrait chanté, enchanté, davantage désenchanté, que pourrait adouber la sentimentale déprime de Berlin. De Reed à Wilson ne change presque pas la donne, la dope persiste et signe, la douceur supposée du LSD, de la marie-jeanne, substituée à la dureté de l’héroïne en prime. L’opus de Lou ne pouvait sans doute surgir qu’au sein malsain des révisionnistes seventies, se situer en Allemagne en effet « mère blafarde », en reflet d’une mère amère et suicidaire. Celui des plagistes à succès, ensoleillés, à demi déjà séparés, révèle l’envers et la facticité du rêve californien, la genèse du disque se verra ensuite mise en images de manière hollywoodienne, boomerang propret de biopic pasteurisé (Love and Mercy, Pohlad, 2014). Sorti en 1966, idem mal accueilli en Amérique mais acclamé par les Anglais, Pet Sounds constitue un sommet de musique vocale « sophistiquée », la défense, démonstration et illustration des puissances de la pop, ce courant certes doté de moult déchets prémâchés, néanmoins victime de snobisme. Influencé puis influençant le groupe pas encore en déroute des « quatre garçons dans le vent », le bon Brian décide d’aller à contre-courant, de friser l’autobiographique, de magnifier l’harmonique, au risque de l’incompréhensible, pas de l’inaudible. Remarquable et remarqué, documentaire, documenté, Pet Sounds possède une capacité à séduire instantanée, que ne parviennent à émousser les réécoutes ni les années. Les mélodies, les instruments, les arrangements, les paroles peu publicitaires de Tony Asher, « interprète » du maestro du mono selon ses propres mots, la magie des unissons masculins, sereins et ariens, tout concourt à l’élective clarté d’un moderniste classicisme non délesté d’obscurité. En treize pistes très balèzes, dont deux instrumentaux à l’addictif brio, ces sons familiers, d’animaux homonymes, caressent de leur solaire détresse, ne cessent d’inviter à revisiter, redécouvrir, les couches maousses, légères et guère austères, de leur richesse, de leur délicatesse. Wilson vomit l’arty, nous itou, trouve les étiquettes suspectes, se fiche des styles, de l’exercice stérile. Il préfère de la perfection l’épatante, épuisante obsession, il sait s’entourer d’un essaim de musiciens doués, rodés, salut à la bassiste Carol Kaye, pionnière en la matière, il peut compter sur le cœur des chœurs de ses frères, de ses partenaires, hésitants, excitants, sur un troupeau de producteurs où se glisse un juvénile Bruce Botnick, bientôt collaborateur de Jerry Goldmsith et type en partie derrière la dame de macadam du L.A. Woman des Doors, j’adore. Le disque, on le sait, fit pleurer McCartney, applaudir Clapton, renversa Roger Waters et Glass l’estima tout sauf dégueulasse. Devenu depuis un œcuménique « totem » de la création contemporaine, n’en déplaise au spécialiste Robert Christgau, l’un des contempteurs de malheur, à critique assassine, de Berlin, Pet Sounds cherche de l’or et accumule les trésors, en écho et a contrario d’un certain Phil Spector, commentateur moqueur de l’évacué Good Vibrations. Inventif et immersif, le chef-d’œuvre de poche des Beach Boys manie l’amour et le désamour, l’abandon et le pardon, l’espérance et l’indépendance, l’hommage et le décalage. Il se termine, mélancolique, sur un soupçon de désillusion, à la Lolita, voire Vertigo (Hitchcock, 1958), l’annonce en sourdine de la décennie suivante, voyage d’ouvrage délivré d’outrages, valeureuse traversée de virilité tourmentée.
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