Le Port de l’angoisse

 

Un métrage, une image : Frères (1929)

Découvrons donc un « film allemand prolétarien », dont le générique aux personnages et acteurs anonymes, limités à des types, désigne un « Juif », fichtre. Dit ainsi, ça effraie fissa, toutefois Frères ne sacrifie ni au manichéisme, ni à l’antisémitisme, même orné, dès l’orée, d’une célèbre phrase d’un certain Marx. La lutte des classes commence par la glace (du calcul classé égoïste) que cassent les bateaux de Hambourg, capturés à contre-jour. En 1896, malaise, de maritime mélodrame familial à la fraternité au carré, au propre et au figuré, puisque deux fils s’y opposent et in extremis s’y rabibochent, à l’écart du casque boche, à pointe prussienne assez malsaine. Cinéaste attentif, historique scénariste, proche du SPD, ennemi et (in)soumis aux nazis, Hochbaum se base sur une vraie grève hivernale et générale d’exploités peu écoutés, payés 4,20 marks la journée, pour trente-six heures de très dur labeur, encadrés par un contremaître au comportement de kapo. Le conflit va durer onze semaines, durant lesquelles les divers ouvriers ne vont rien toucher, vont devoir compter leurs pièces de monnaie, sur l’incertain soutien d’une solidarité déjà désargentée. Jamais misérabiliste, Frères affiche pourtant l’éprouvant portrait d’une pauvreté de plus en plus paupérisée, le pain du matin rassit et se réduit, la fatigue fait flancher le chef à table, le réveil de cinq heures, toujours à sonner, désormais dos tourné, ne permet aucune grasse matinée. Flanquée d’une belle-fille alitée, épouse tuberculeuse puis de prison visiteuse, d’une petite-fille au landau dérisoire et à chat noir, la mère mit au monde immonde des enfants devenus grands, le premier policier, le second docker. Entre eux, un silence acrimonieux, un képi au tapis. En tandem avec un DP inspiré, nommé Gustav Berger, auquel la restauration majeure fait honneur, notre réalisateur tout sauf mineur, itou producteur, syndicat sympa, revisite en vitesse le mimi Metropolis (Lang, 1927), se déleste cependant de sa consensuelle conclusion à la con, ensuite désavouée par Fritz himself. Au terme des trois mois de combat, le meneur, meilleur que le « réservé » et spécialisé « leadeur », croupit au creux de sa cellule, découvre, sidéré, l’arrêt des hostilités, la reprise du mouvement, comme ou plutôt pire qu’auparavant. Conscient de sa coda dépressive, Hochbaum rajoute in fine un drapeau rosé, filtré, un « appel prophétique », à l’optimisme auto-suggestif, sinon révisionniste, au sujet d’une « étincelle d’enthousiasme embrasant des milliers et des milliers d’esprits assoupis, de femmes, la jeunesse en devenir », le kaiser en ricane encore, les forces de confiscation et de répression ne perdent le nord, à présent pérorent à propos de « fin de l’abondance » et similaires manigances. Un lion de pierre superposé sur une face de flic, métaphore façon Eisenstein ; un montage alterné se fichant de Griffith, dormeurs en uniforme et ensommeillés guère en forme ; un climax pas dégueulasse, Noël démoli à la truelle, descente de police, angelot au bout du rouleau, impératif pacifique ironique, mari crucifié d’un clou laïc, malade rendue folle traînée au sol, gamine en larmes, atterrée à côté de sa grand-mère idem ; assaut à la Assaut (Carpenter, 1976) ; un port qui se « développe », des mecs qui grelottent ; une inscription murale et des mains amicales ; un collier en guise de guirlande, des contre-plongées éloquentes ; une libération anticipée, quelques grains de café : Frères décrit l’agonie d’un dix-neuvième siècle à la Dickens & Brecht, le miracle et le sarcasme en moins, miroitant six mois avant le tournant du « jeudi noir », surtout sous le régime de Weimar, ouvrage à demi documentaire/vénère, opus précis pas si propagandiste…      

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