Le Sang des innocents
Le jeune homme et la mort, la joie d’abord, les traumas encore…
I
am walking through Rome
With
my heart on a string
Dear
God please help me
Six ans suivant Rogopag (1963), revoici
Godard & Pasolini ; la séquence de La Contestation (1969)
paraît pourtant un prolongement du documentaire à base de montage La
Rage (1963), coréalisé puis renié en compagnie du meilleur ennemi Guareschi.
Comme dans Le Petit Monde de don Camillo (Duvivier, 1952), Dieu prend la
parole, mais avec Lui-même dialogue, car nul ne L’écoute, en tout cas pas le
piéton pris en public presque surpris et précédé en travelling latéral motorisé. Tourné en été 1968, sillage de fameux
événements du mois de mai précédent, le segment stimulant s’insère aussi au
sein d’une anthologie au titre homonyme quasi,
puisque l’on passe de La rabbia à Amore e rabbia. Situé, on
le sait, du côté de la police prolétaire plutôt que de la bourgeoisie
estudiantine révolutionnaire, le cinéaste acclamé, à scandale, de Accattone
(1961), La ricotta (1963) et L’Évangile selon saint Matthieu (1964)
délivre vite une parabole plus triste que drôle, figuration de « figuier
stérile » d’évangile, au symbolisme multiple, au mois de mars martial. Il
magnifie l’amant et ami Davoli, lui ménage un chemin de croix sympa, le cueille
en coda, pictural trépas à gros coquelicot, donc associé aux anciens soldats,
au sommeil éternel, marcheur chômeur devenu dormeur rimbaldien et gisant à la
Courbet, origine homoérotique, en dépit de bises hétéros inoffensives, et terme
d’un monde immonde, christ complice au tapis propice à ravir le clair-obscur Le
Caravage et le très gay Morrissey à
Rome, escorté des cordes de Morricone. Ce mimétisme limite entre les cadavres
avérés du passé, le faux décès de ciné, Almodóvar s’en souviendra plus tard,
pendant l’épilogue de Madres paralelas (2021). S’il évite
l’esquif du didactique, écarte la matraque du tract, La Séquence de la fleur de papier chronique une mort annoncée,
celle de « l’innocence », de « l’inconscience », crimes de
culpabilité contradictoire que résume une formule façon Orwell. Le parcours de
l’acrobate non plus fleur au fusil, désormais à la main, se voit dès l’orée
sans cesse parasité par des images d’un autre âge, mille et un outrages, en noir
et blanc envahissant. Ni exercice de style ni de démagogie moralisatrice, le
court métrage remarquable fait fissa resurgir des spectres plus ou moins
célèbres, Che Guevara ou pas, sorte de terreau d’atrocités enregistrées sur
lequel ne peut pousser qu’un simulacre en papier, en effet, promis à être « condamné »,
coupé. La déambulation le long de la centrale via Nazionale dissimule à peine une
dimension de marche funèbre, sous sa liberté affichée, son indifférence
d’immanence, son autisme d’égoïsme in
extremis terrassé, au propre et au figuré. Doté de sa sienne trinité,
l’acteur Puglisi (Ma femme est un violon, Festa Campanile, 1971 ou Vers
un destin insolite sur les flots bleus de l’été, Vertmüller, 1974), le
directeur de la photographie Ruzzolini (Théorème, 1968), le monteur Baragli
(idem), PPP hisse la surimpression au
niveau de l’oraison, le plan-séquence, en apparence, à celui de l’existence, de
la quintessence, accroche un Bach messianique à des câbles électriques, relit
de Jérémie la surdité à l’insu du plein gré acoustique. La jeunesse, la
souplesse et la douce ivresse de Davoli revisitent celles de Kelly (Chantons
sous la pluie, Donen, 1952), munies d’une sentimentale mélancolie à la
Demy. En vérité je vous l’écris, je vous en remercie, chère Waechter, le
chef-d’œuvre de poche se suffit de ceci, immortalise un moment entraînant et
mourant, un présent plaisant déjà dépassé, contaminé. Le « goût
cinématographique » du marxiste et catho Paso le portait vers la « plasticité »
des « Primitifs », la toile mentale rétive à l’impressionnisme, tant
pis pour Monet, itou amateur notoire de (dé)peint poppy. La sequenza del fiore di carta, dénomination méta, lexique
liturgique, confirme le tropisme et demeure néanmoins du cinéma bel et bien,
pourvu d’un picaresque svelte et funeste, de petit peuple et d’espiègle
individualisme démoli via le contexte
du collectif. Il s’agit ainsi d’un art poétique et politique, d’une invitation
toujours de saison, à voir, « savoir » et « vouloir »
mieux, au risque ne plus être totalement heureux, sans se satisfaire d’un
hédonisme en surface libertaire et en définitive mortifère, d’un acte d’amour dont la conclusion annonce du couple la séparation.
Grand merci pour l'hommage si personnel en forme de texte dense au ton juste et émouvant,
RépondreSupprimeren effet du vrai cinéma engagé et poétique à la fois, une merveille dont votre billet détaille avec force et délicatesse toute la richesse de cette forme fantastique si troublante d'hymne funèbre à la joie !
Merci à vous, de la découverte et du reste.
SupprimerOscar Wilde en embuscade : je t’aime, tu en décèdes, même si Davoli dut in fine identifier la dépouille suppliciée de PPP.
Écho à Belmondo chez JLG, walking dead de pavé parisien, parce ce qu’il le valait bien, ou ne valait rien, impasse « dégueulasse ».
SupprimerDe Godard, Pasolini a parlé comme d'un
« Braque brutal, mécanique et discordant ».
https://www.cairn.info/le-cinema-italien-de-1945-a-nos-jours--9782200613969-page-75.htm
JLG selon Rozier :
Supprimerhttps://www.cinematheque.fr/henri/film/71267-le-parti-des-choses-jacques-rozier-1963/