Le Chat du rabbin
Notes à propos d’un duo de rôles…
À la télé et au ciné, Clotilde Joano
épousa donc Michel Piccoli deux fois, qui la trompa, l’empoisonna, auquel elle
pardonna, écho moderato à la tactile coda de L’avventura (Antonioni,
1960), itou co-écrit par Tonino Guerra. Au cours de Hauteclaire (Prat, 1961),
téléfilm du temps de la RTF, certes soigné, toutefois surfait, Paul Frankeur, docteur
narrateur, affirme qu’elle affiche un « visage de victime », néanmoins
ceci n’existe, pas davantage qu’un faciès de coupable, n’en déplaise au guère
rigolo Cesare Lombroso. On peut par contre posséder une sale gueule, une face
défaite, en effet, pourtant les traits altiers de la Clotilde concernée ne se
situaient de ce côté. Sa beauté classique, aristocratique, un brin britannique,
sied à la comtesse en détresse imaginée selon le diabolique Barbey, le mimi
d’Aurevilly, au creux d’un ersatz de conte de classes, marxiste en sourdine.
Clotilde incarne de tout son corps une Delphine destinée à la mort, proie d’un
couple porté sur l’amoureuse escrime et « le bonheur dans le crime »,
que mène démunie de remords, de désaccord, une Mireille Darc très dark, au propre et au figuré. La noble
ignoble s’oppose à la rivale vitale, déguisée à domicile en domestique, capable
d’accepter « l’inacceptable ». Il ne suffit de s’enflammer sous le
même toit, parce que lui, parce que toi, il faut aussi l’occire à petit feu, la
châtier chaque jour un peu, jusqu’à ce qu’elle se dessille, sorte de son rôle
d’éprise imbécile, découvre la vérité, au lit d’agonie clouée. Flanquée du
confesseur Frankeur, elle refuse le déshonneur, se moque de l’antidote,
succombe durant de longues secondes. Ce tour de force et de fragilité, de
contrôle et d’expressivité, de clarté d’élocution et d’écartelée auto-oraison,
s’apprécie en épiphanie, sinon en prophétie, car la d’abord comédienne et
ensuite actrice presque éphémère décédera la décennie suivante d’un cancer. Huit années après, la revoilà au
terme de L’invitata (De Seta, 1969), obscur opus dispensable sur lequel je ne reviens point, cf. l’article Un
film, une ligne. La belle Michèle suspecte l’architecte, comprend en un
clin d’œil comme un deuil l’adultère express
commis en compagnie d’une délaissée dessinatrice. Ici, en terre sudiste, on se
tait, on communique et s’explique sans se parler, surcadrés derrière une vitre
de nuit ventée, spectacle spectral de retrouvailles conjugales. Modèle d’understatement, la performance brève et
intense de la cara Clotilde éclipse quasi
la grâce pas dégueulasse de Mademoiselle Shimkus, alias Madame Sidney Poitier, l’estimable sirène solaire des Aventuriers
(Enrico, 1967). Mise en scène au théâtre par Vilar & Visconti, dirigée devant
une caméra par Chabrol, Autant-Lara, Varda, Drach, Douchet, Costa-Gavras, de
Broca, Béraud ou Tavernier, Clotilde Joano, née Rabinovitch, en Suisse, morte à
Milly-la-Forêt, Cocteau & Dior adorent, Aixoise d’adoption, de
scolarisation, traversa l’écran dédoublé d’antan telle une étoile remarquable,
entre rires et larmes, comédies et drames. Tandis que disparaît le discret Just
Jaeckin, se souvenir d’elle, la célébrer ainsi, à de la nostalgie ni à de la
nécrophilie ne se réduit. Les spectres sur pellicule ne démissionnent vraiment ;
désormais en ligne, ils ne cessent d’obséder les (sur)vivants. L’élégant et édifiant
brio de Clotilde Joano permet de témoigner de la pertinence et de la puissance
d’un métier, d’une vie écourtée placée sous le signe de la qualité, vile
quantité, du charme d’une flamme, Eurydice bis,
chatte de Shoah, fille de zone libre et muse de cinéphile.
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