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Modèle de modernité, moralité de monstruosité…

L’antidote à In the Mood for Love (Wong, 2000) ? Davantage un ouvrage sur les images et les mirages. Dans l’avant-dernier segment émouvant puis éprouvant des Nouveaux Monstres (1977), coréalisé en compagnie de Scola & Monicelli, Risi leur laisse presque toute la place, petit précis de ciné muet très expressif, tout le temps éloquent, où à peine une poignée de répliques, unilatérales, répondent aux paroles ad hoc du double programme musical, aux informations à la télévision finales et fatales. Face aux interrogations du romantisme, le terrorisme conserve ainsi mystère et mutisme. D’une décennie à la suivante, les moyens de locomotion diffèrent mais demeurent mortifères, la virée en voiture ou le vol en avion se terminent idem au cimetière, Senza parole prolonge subito presto Il sorpasso (1962). S’il ne fanfaronne comme Gassman, présent ici aussi, qu’il évoque en vrai-faux sosie, Latin lover au charme de cheveux sombres, à l’exposée, dissimulée, part d’ombre, le cosmopolite et bien nommé Yorgo Voyagis, croisé chez le compatriote Cacoyannis (Zorba le Grec, 1954), Clavell (La Vallée perdue, 1970), Zeffirelli (Jésus de Nazareth, 1977), Polanski (Frantic, 1988) ou Ritchie (À la dérive, 2002), aussitôt séduit la séduisante et touchante Ornella Muti, dont le patronyme rime au pluriel avec le mot muto, c’est-à-dire muet, CQFD. L’excellente actrice, à la fois servie et désavantagée par une évidente beauté, fardeau magnanime parfois mis en abyme, cf. La Fille de Trieste (Festa Campanile, 1983), vient de tourner La Dernière Femme (1976) de Ferreri, titre alternatif à celui-ci. En hôtesse de l’air prompte à s’envoyer puis exploser en l’air, la bella Ornella déploie une sincérité, une sensibilité, qui ennoblissent son sentimentalisme, qui ne ridiculisent les fameux morceaux de Carmen & Tozzi, leur confèrent a posteriori une insoupçonnée mélancolie. Cinéaste pas si cynique, plutôt satiriste lucide, Risi souligne les manigances d’une romance en avance sur le 11-Septembre, la mécanique du stratégique, le piège aux alouettes cruel auquel succombe in extremis, de façon invisible, médiatique, quasi anecdotique, atrocités en série, une jeune femme trop aimante et confiante. L’amour aveugle, la parabole plus triste que drôle développe en sourdine sa propre cosmogonie, l’eau, la terre, le feu et l’air (re)présentés de diverses manières. Cependant l’idylle édénique débouche donc sur la destruction, le silence de satisfaction, d’accomplie mission, de remonté pantalon. L’attentat estampillé politique se révèle en outre sexiste, l’homicide, individuel et collectif, se transforme en féminicide, moins esthétique et plus efficace que celui doté de misandrie et de démagogie de La Nuit du 12 (Moll, 2022). L’inconnu malvenu savoure son café au creux de la claire obscurité, d’un univers solaire soudain assombri, en écho à Agatha Christie (Evil Under the Sun, aka Meurtre au soleil, Hamilton, 1982). Pour n’avoir pas su déceler sa sexuée dangerosité, la sirène souriante et sereine, heureuse et radieuse, subit une sortie odieuse, après la culbute, la chute. Moraliste jamais moralisateur, notre auteur majeur donne à cette occasion une leçon de narration, de réalisation, d’interprétation, d’utilisation de la bande-son, sonde en douce rudesse une société du spectacle et du simulacre, érotique et morbide, d’innocence et de souffrance, d’attraction et de répulsion. Conte en contexte encore pertinent et impressionnant, ce sketch superbe esquisse une petite fille candide, pas imbécile, in fine dévorée, mange-disque explicite en prime, via un loup filou se fichant du féminisme et de l’humanisme, aux lunettes de soleil hitchcockiennes, aux lunettes noires de désespoir. Tandis qu’à l’hôtel la vie semblait si belle, hédoniste dolce vita te revoilà, Ornella y apparaissait allongée pourtant trois fois déjà, gisant inconscient, alors que le corridor d’aéroport empeste la mort, sonnerie retentie tel l’hallali…

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