Quand Harry rencontre Sally : Les Jouisseuses

 

La preuve et l’épreuve, les sens et le sens, l’orgasme et l’organe…

« How do you know? » demande, à deux reprises, la dérangeante, mais amusante, Meg Ryan, au pertinent partenaire, Billy Crystal comme le cristal encore clair, comprendre, erreur totale, trop sûr de ses capacités de (sur)mâle. En 1989, Rob Reiner filme un mec et une meuf, ne filme rien de neuf, se repose (et impose), un peu, sur le duo sans défauts, ou alors, le sert au mieux, souvenir heureux, le point de vue suivant, sévère ou indulgent, immortalise, in extremis, sa marrante maman, réplique remarquable et remarquée, de coda incluse, selon une sorte de « scène primitive » inversée, non plus surprise, ou représentée, par les enfants, puisque, à présent, proposée aux parents, carrément aux clients. Au sein, tout sauf malsain, d’un delicatessen serein, certes assez éloigné de l’homonyme satirique de Marc Caro & Jean-Pierre Jeunet (Delicatessen, 1991), la lucide Sally, en sourdine ulcérée, donne ainsi, à son (petit) ami, une leçon de dessillement, de quoi, recta, lui couper l’appétit, tant pis. Jadis visiteur amateur, refroidi, d’un salon classé spécialisé, Michel Houellebecq soulignait, à raison, l’unisson de la copulation et de la religion, au moins parmi l’américaine, parfois puritaine, pornographie : ceci, hélas, se perd au passage de la version française, qui substitue, à l’explicite et idiomatique « God », notre banal et trivial « C’est bon », passons. Le type, presque sympathique, pas fier de fuir, en train de manger, d’esquiver la vérité, va vite assister, bouche bée, à une démonstration d’occasion, du fameux paradoxe à propos du comédien, pardon, de la comédienne. Denis Diderot, on le sait, opposait les espaces, les situations, les professions, la scène et le salon. Rob Reiner, guère obscène, met en scène, au milieu d’un lieu public, le spectacle de l’intime, sa formulation, à base d’interrogation, de répétition, d’exagération, d’intrusif, d’impératif, d’expressif.

Meg Ryan ne ressent rien, hors une colère générale, ire du personnage, en désaccord avec le convive, magnanime, le décor, convivial. L’art, poétique et politique, de l’actrice de L’Aventure intérieure (Joe Dante, 1987) ou des Doors (Oliver Stone, 1991), pourrait provoquer le scandale, il produit de la sidération, il vérifie le pouvoir de la simulation, voire de la stimulation, à la Jean Baudrillard ou non. Sally agite sa mimine, fine, Harry manie le reflet infidèle, utilise une ironique langue des signes ; elle penche la tête, elle halète, elle ferme les yeux, elle touche ses cheveux, elle mène le jeu ; elle tape la table, vrai-faux sosie de France Gall. En champs-contrechamps d’antan, du monde et du cinéma « d’avant », elle psalmodie un « Yes » irrésistible, en écho, pas molto intello, à la litanie de Molly, monologue d’épilogue du célèbre et sensuel, Kate Bush ne s’en effarouche (The Sensual World), Ulysse de James Joyce. Le cinéaste des estimables Stand by Me (1986) et Misery (1990), Stephen King n’en déprime, pas une minute émule de Michelangelo Antonioni, documente donc, au côté de feue la scénariste Nora Ephron, un couple en déroute, une « incommunicabilité » dure à avaler, au propre, au figuré, une mise en abyme des simulacres, ceux des expertises du X, ceux de l’imagerie mainstream. La comédie, cf. les items « à l’italienne », carbure, aussi, à la mélancolie, et le triomphe, ou le camouflet, affirme un gouffre entre les sexes, les prétextes, les a priori, les solitudes réunies, le temps d’un repas au restaurant, d’une nuit (en split screen, pardi) au lit. Structuré sur des rencontres accolées, ni féministe, ni phallocrate, When Harry Met Sally…, notez la tonalité nostalgique du prétérit, appréciez les points de suspension de suggestion, prend acte de rapports (sexuels, sexués) patraques, choisit d’en rire, d’en faire, en douceur, souffrir, mal et bien, l’orgueil masculin.

Bientôt analyste de Robert De Niro (Mafia Blues, Harold Ramis, 1999), Billy Cristal constate, trop tard, des apparences et de l’évidence la victoire, le doute de Nathalie Sarraute l’escorte, le Watergate, sur le tandem d’étudiants des années soixante-dix, son ombre, sinistre, projette. Si l’extase (les) laisse de glace, si s’insinue le poison du soupçon, hitchcockien, parce qu’il le vaut bien (Suspicion, 1941), jusqu’au cœur d’une relation, à quoi bon (les saisons, les effusions) ?, que reste-t-il de bon ? Un moment de ciné, allez, un renversement des valeurs, ne manquant de mordant, de saveur, un dialogue ad hoc, fable affable d’hommes et de femmes, dont le mélodrame, humoristique, « romantique » et rythmé, en « comédie sentimentale », d’après un divorce, déguisé, se déroule, à la suite d’un travelling, latéral, inaugural, devant une foule cool, dont les « plans de réaction », point moroses, disposent, quant à eux, taiseux, parlants, d’un silence éloquent, éclairant.   

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