La Brigade du suicide + Marché de brutes : Les Infiltrés + Je suis un évadé

 

Man of steel ? Mann de style…

Un métrage, une image : La Brigade du suicide (1947)

Premier essai du quatuor en or – le directeur de la photographie John Alton, le scénariste John C. Higgins, le réalisateur Anthony Mann, le producteur Edward Small –, La Brigade du suicide, traduction très approximative, sinon pathétique, du factuel T-Men, dialogue à distance avec Les Incorruptibles (De Palma, 1987). Celui-ci, on s’en souvient, se terminait sur l’homicide de Nitti par Ness peu miséricordieux, frontière morale franchie sur les sommets de Chicago City, comme en écho à la torture sportive infligée par un autre policier à bout poussé à ce salaud de Scorpio (L’Inspecteur Harry, Siegel, 1971), scène célèbre et superbe de stade désert, d’alternatif théâtre antique surplombé en hélicoptère. La Brigade du suicide ne verse certes vers cette inversion des valeurs, ne possède pas de plaque patraque in fine refusée, de monument mortuaire dédié aux policiers en service décédés, à faire frémir la critique gauchiste, entichée de « médiéval fascisme », amen, Madame Kael. Ici, on accepte la mission en effet risquée, presque impossible ; ici, on se déguise, on se suicide, c’est-à-dire, on se laisse mourir, assassiner par les sbires, devant le co-équipier impuissant, le message codé comprenant, meurtre dupliqué puisque l’épouse en pleurs, complice auparavant, en veuve honorée fissa transformant. Le script de David Mamet réduisait les femmes à des silhouettes, mariée, maternelle, l’homonyme de Higgins met aussi en valeur une photographe comparse, une intermédiaire au caractère de fer. Entre pègre d’origine italienne et papier de chinois contrebandiers, les représentants des minorités de notre politiquement correcte modernité ne manqueront pas de le souligner, de le signaler, de le déplorer, Detroit et Los Angeles, confinement à faire peur et à éviter bains de vapeur, une pensée amusée pour ceux, révisionnistes et joyeux, de La Grande Vadrouille (Oury, 1966), traquenard et « Combinard », réalisme et expressionnisme, notre duo d’agents du Trésor, j’adore, ne s’endort, échappe ou pas à la mort. Introduit selon un carton d’interdiction, non à la contrefaçon, l’allocution à la con d’un VRP connu de Capone, pourvu d’un nom et d’une statuette de renom, escorté d’une assez ridicule et docte narration annonciatrice de l’audiodescription, La Brigade du suicide parvient à esquiver l’écueil de cercueil du petit précis propagandiste, mâtiné de didactisme, de patriotisme, d’héroïsme. Mann filme des êtres humains plus ou moins malsains, des doubles rôles, pas des porte-parole de protocole ni d’indétrônables idoles. Longtemps après l’affable fable de fausse monnaie, Friedkin délivrera celle, plus colorée, itou stylée, de To Live and Die in L.A. (1985)…                            

Un métrage, une image : Marché de dupes (1948)

Second essai du quatuor en or – le directeur de la photographie John Alton, le scénariste John C. Higgins, le réalisateur Anthony Mann, le producteur Edward Small –, Marché de brutes, applaudissons la transposition, l’éloquent équivalent du Raw Deal d’origine, dispose à nouveau d’une voix off, cette fois-ci féminine, pourtant renverse la perspective, s’émancipe du pseudo-documentaire, s’aère, se passe en partie en plein air, forêt de conte de fées défait, de western revisité, plage d’outrage, d’hommage, de dernier rivage, dommage. On y découvre et retrouve le solide Dennis O’Keefe, encore mieux entouré, malmené, car écartelé entre Claire Trevor (La Chevauchée fantastique, Ford, 1939, Key Largo, Huston, 1948, Quinze jours ailleurs, Minnelli, 1962), je l’adore, et la très chassée (aux sorcières) Marsha Hunt (Johnny s’en va-t-en guerre, Trumbo, 1971), puisque aux prises avec le dérouillé John Ireland, le carbonisé Raymond Burr, colosse en contre-plongée, bousilleur à briquet, au final enflammé, défenestré, olé. D’une prison, on peut se carapater ; pour atteindre la rédemption, il faut, ici aussi, se sacrifier, à l’insu de son plein gré payer, de sa vie éclairée, pedigree un instant purifié, et fi des 50 000 billets. Départ de corbillard à la Pépé le Moko (Duvivier, 1937), sans toi partira le beau bateau, épilogue en pietà, Ann, ne pleure pas, tant pis pour Pat, « pathétique », repentante, menottée à un policier, trépas de « tueur fou » en avertissement, voire en replay, à la fenêtre à regarder, spectaculaire doux-amer : Mann ne filme un vaudeville, ne se limite à une rivalité sexuée, le plan à trois, il n’en veut pas, il délivre vite, sans trop d’argent, sans perdre de temps, un magnifique mélodrame à trois hommes et deux dames. En extérieurs, en intérieurs, in situ, en studio, Marché de brutes, muni de son magistral et intimiste tumulte, dilemme de je t’aime, horloge morose, ne cesse de séduire, d’émouvoir, de déjà laisser apercevoir ce qui sous peu se développera, constituera le décor et le cœur du réalisateur majeur, à savoir son sens de l’espace unique, son romantisme tragique, son indépendance, son assurance, sa capacité à capturer des accès d’adulte violence, un parcours périlleux de deuxième chance, je vous renvoie vers par exemple L’Appât (1953), L’Homme de l’Ouest (1958), Le Cid (1961) ou La Chute de l’Empire romain (1964). De Spartacus (Kubrick, 1960) remercié du tournage, par l’impitoyable Kirk Douglas, Mann demeure un artiste libre et un auteur de valeur, un type cosmopolite, jadis salarié de Selznick, préférant les retrouvailles au lieu des représailles, matez l’estimable Les Héros de Télémark (1965), requiem enneigé, toujours accompagné du regretté Kirkounet...  

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