Le Petit Lieutenant

 

Un métrage, une image : La Loi des montagnes (1919)

« Vertigineux » vaudeville viril transcendé via le style, La Loi des montagnes (d)étonne en raison de son moralisme de saison. Conseiller de Griffith (sur Cœurs du monde, 1918), converti au catholicisme, comptez les croix, à l’extérieur, à l’intérieur, ne gloussez pas devant la version délocalisée, surélevée, du Golgotha, Erich von Stroheim débute donc dans la réalisation, auto-adapte Le Pinacle, titre explicite, très phallique, refusé au profit du supposé plus sobre ou tendance Blind Husbands, salut aux alcoolisés homonymes, point anonymes, de Cassavetes (Husbands, 1970). L’acteur typecasté, le sien Prussien, vous adorerez le détester, s’acoquine à Carl Laemmle, big boss de la cosmopolite Universal, lui-même alien, aux sympathies de Germanie, nique les nazis, cumule les casquettes (décorateur, monteur, producteur), accepte de réduire ses salaires autant que nécessaire, dépasse (déjà) le budget alloué, connaît un économique et critique succès, abandonne en « auteur » sa particule ridicule, ne bénéficie (aussi) du final cut. Entre Autriche et Italie, au creux de Cortina d’Ampezzo illico, où se déroulera idem un divertissement élégant dénommé La Panthère rose (Blake Edwards, 1963), cela ne m’indispose, estimée « Mecque des touristes américains », parce qu’ils le valaient bien ; entre épouse délaissée, dépressive, presque tentée, puisque pourvue d’un mari trop altruiste, pas assez rapproché, couple en déroute et en reflet renversé de celui en lune de miel, fi du fiel, Polanski, au tapis, candide, lucide, et guide montagnard goguenard, à proximité du précieux et trompeur plumard, sentimental plus tard, ah, les larmes d’un mutique mec, d’un cœur pas encore sec, se glisse ainsi un serpent suave et soûlant, « autre homme » à la gomme, dont le masochisme assumé, assuré, la démystification honnête, guère suspecte, invitent à la distance et aux risettes. Adultère alpestre, alpinisme d’homicide, lettre claire, emportée en l’air, invisibles vautours en préface à de fameux et métaphoriques Rapaces (1924, Gibson Gowland en seconde danse, de capitalisme, de démence) : on ne s’ennuie jamais, dommage pour notre souvent bavardante, débandante et désolante modernité, de l’accompagnement musical en ferraille du sieur Frank on peut toutefois sans forcer se dispenser. Premier film affirmé, de fable affable, de responsabilités et de torts partagés, de culpabilité décuplée in extremis évacuée, La Loi des montagnes rappelle surtout celle du cinéma, sa leçon de morale, voire de moralisation, magnifiée au moyen d’une leçon de réalisation. Erich héritier de Griffith ? Que nenni, arrière le lyrisme, le romantisme, certains rajouteraient le racisme, ceux, par exemple, du Lys brisé (1919), allez, contemporain parfait, écho contradictoire, place au réalisme, sinon au mysticisme, à la minutie, à l’ironie, à la vitalité conservée d’un regard (d’aigle) souverain, d’immanent magicien, chaque plan pertinent, puissant, chaque péripétie expressive, chaque paysage hors du naufrage, du cafouillage, chaque visage valorisé selon une tension bien tempérée. Raccourci, rallongé, restauré, ressuscité, à un défunt dédié, dès le carton d’introduction résumé, l’opus (re)surgit de l’oubli, en précieuse épiphanie.

Commentaires

  1. Ah réussir le film d'un adultère de rêve dans l'inconscient d'une femme nostalgique ignorée de son mari aux amitiés vacancières et viriles et qui s'ignore tant le couperet du puritanisme américain est tranchant...Quel merveille, et le sieur Von Stroheim officier d'opérette quasi cyclope par le monocle a bien mérité sa particule tant il incarne à plaisir toutes les facettes d'un séducteur princier autant que roué qui déchaîne les émotions et entraîne à l'escalade du jeu dramatique le cinéphile à un de ces sommets ! (le tout ambigu magnifiquement capté en décors naturels et en gros plans...)

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