La Belle et la Bête

 

Un métrage, une image : La Cité de l’indicible peur (1964)

À la fantastique Jacqueline

Le « flic » de Bourvil, six ans avant celui de Melville (Le Cercle rouge, 1970), s’excuse de coffrer les coupables infortunés, comme son homologue amerloque (Le Retour de l’inspecteur Harry, Eastwood, 1983), laisse in fine la criminelle se faire la belle, se livrer de son plein gré à la captivité de l’incrédule Poiret, képi = calvitie, assure le médecin atteint de misanthropie (« Tout le monde ici mérite d’être arrêté. Ici comme partout, d’ailleurs, toute l’humanité souffrante »). Matrice apocryphe de l’aussi atmosphérique, moins comique, Litan (1982), La Cité de l’indicible peur, aka La Grande Frousse, emprunt imposé à la complainte explicite du générique, aux lyrics co-signés du dialoguiste Queneau, associe ainsi le satirique au whodunit, le légendaire au faussaire, un boucher « cinglé » presque proche de Chabrol (Le Boucher, 1970), de Caro & Jeunet (Delicatessen, 1991), à une « lande » de no man’s land – à la place de « self made man », tant pis pour l’inspecteur parieur, peu porté sur le « pistonné » – qui rappelle la féminité frémissante, menaçante, en tout cas selon le mâle local, de La Renarde (Powell & Pressburger, 1950), Le Chien des Baskerville (Fisher, 1959), Les Raisins de la mort (Rollin, 1978), Véronique Nordey, la chérie de Mocky, de Françoise Sagan le vrai-faux sosie, alors à l’instar de ses consœurs sans peur, à savoir Jennifer Jones, Marla Landi, Brigitte Lahaie, eh ouais. Co-produit par André Raimbourg, doté du noir et blanc assez renversant du grand Schüfftan, d’une distribution chorale impayable et impeccable, pourvu d’un prologue aux cavaliers apocalyptiques, à la décapitation anthologique, le thriller farceur relit Ray, se souvient du violent Gévaudan, portraiture la province en asile tranquille, au toponyme limpide (barjots de « Barges », indeed). Ce titre précis, abouti, s’insère au sein d’une certaine imagerie, celle de la petite ville vile, aux sordides secrets à demi dissimulés, vite dévoilés, cependant le cinéaste cède le conte de fées défait, bouleversant et bouleversé, disons à David (Lynch, Blue Velvet, 1986), lui substitue la romance délestée de chance. Ni misandre ni misogyne, il se fiche du fantastique, se focalise sur le « fataliste », même le Monsieur Hulot de Tati anticipe, puisque Bourvil en imper y sautille, le charmant lynchage que réclame la populace façon Frankenstein (Whale, 1931) se transforme fissa, merci au maire, en liesse de kermesse, la mort, donnée, demeure « naturelle », en effet, quant au cabinet d’extra-lucidité, il ressemble à un salon de prostitution. Opus d’apparences, de notables redoutables, de police pas triste, in extremis menée, au propre, au figuré, par le menotté, La Cité de l’indicible peur fait honneur au réalisateur et cartographie feu ton pays.       

Commentaires

  1. Merci pour ce fantastique billet en hommage à Mocky, agrémenté d'une belle dédicace à tous ces fabuleux acteurs et actrices, merveille de noir et blanc renversant comme vous l'écrivez, décrivez, analysez si bien
    et comme en écho, en remerciement à l'hommage amical, ma petite dédicace en forme de poétique image :
    http://jacquelinewaechter.blogspot.com/2021/12/le-noir-et-blanc-vous-va-si-bien.html

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