Nocturama

 

Un métrage, une image : Nuit magique (2019)

Conte coloré, écho à Noé, cet exercice de stoïcisme, assez sympathique, à la fois drolatique et fatidique, prend l’apparence d’un opus picaresque. On peut certes penser au ciné de Jim Jarmusch & Aki Kaurismäki, pourtant ce premier film possède sa sienne « petite musique », au propre et au figuré, fi de Catherine Lara, ça vous va ? Durant une heure vingt vite passée, voire trépassée, on escorte donc un hypocondriaque, en sus musicien « expérimental ». Notre homme en mauvaise forme, sinon fortune, rencontre la Mort, en tout cas un autre type qui s’identifie ainsi, olibrius à l’accent presque russe, placé entre un corbeau à la Poe, un oiseau de paradis joli, bestiaire guère mortuaire, quoique, à des années-lumière du pasteurisé Brad Pitt (Rencontre avec Joe Black, Brest, 1998). Le gentil Youri, pas si à l’agonie, va s’amouracher illico d’une lectrice de peep show, aperçue chez une sorcière sud-coréenne, médium marital, elle-même portée sur l’opium, à cause du décès d’une collègue et amie déshabillée, après avoir croisé la route, plutôt la déroute, d’une couple de karting, adepte de la dangereuse roulette, gare à l’oreille opérée à la van Gogh. Ponctué de picturaux végétaux, le voyage individuel, existentiel, carbure à l’alcool, à la dope, aux personnages interlopes. Au bout de la nuit, jamais de l’ennui, le malade imaginaire, obsédé du suaire, découvre deux vérités : l’amour surpasse tous les paradis, surtout artificiels, à la truelle, belle scène de baiser partagé, en triple stéréo de subito presto trio ; la Faucheuse n’épargne personne, pas même ses supposés représentants, au destin de néant. Le mec énigmatique, polyglotte, amateur de saucisse, de bière, de whisky, de vols de véhicules, meurt mais ne pleure, bien entouré, bien réchauffé, par Youri & Nina, ses enfants par procuration, pas d’abandon. À l’arrivée de l’aube, la ville se décolore, le paradisier s’évapore, le cadavre devient indolore. Cependant, in extremis, l’angoissé un sourire esquisse. « Il faut imaginer Sisyphe heureux », recommandait Camus. Lui-même bien servi par son directeur de la photographie, par son triangle miroité, renversé, rosé, sexué, à l’entrée de l’établissement spécialisé précité, où la placide sex worker et son client équipé d’un cœur traversent et brisent la glace a priori dégueulasse, Xaver Böhm corrige l’impératif, à coup de romantisme allemand, préfère la prestance, la seconde chance, à la teutonne transcendance. Ni Les Trois Lumières (Lang, 1921), ni Le Septième Sceau (Bergman, 1957), très loin s’en faut, son item mérite néanmoins un modeste bravo, assorti d’une pensée pour le pauvre frérot de Mister Méphisto, flanqué d’un Faust falot, d’une Marguerite autarcique… 

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