La Femme nue et Satan : La Tête dans le carton à chapeaux
Seconde chance ? Secrète errance…
Un an avant Les Yeux sans visage
(Franju, 1960), autre histoire noire d’effroyable greffe féminine, La
Femme nue et Satan (Trivas, 1959) s’apprécie pour ainsi dire en point
de suture entre La Fiancée de Frankenstein (Whale, 1935) et The
Brain That Wouldn’t Die (Green, tourné itou en 1959, sorti en 1962). Il
s’agit aussi, à sa façon, d’une expressionniste préfiguration du plutôt pop « Krimi » teuton, pourvue
d’un titre trompeur et pourtant pertinent : pas de pépée à poil, rien du
Malin, mais un estimable mélodrame moral, à base d’art et de science, de corps
et de décor, de construction et de destruction. Secondé par le production designer Hermann Warm, jadis au service de Wiene (Le
Cabinet du docteur Caligari, 1920), Lang (Les Trois lumières, 1921),
Murnau (Le Fantôme, 1922) ou Dreyer (La Passion de Jeanne d’Arc,
1928 + Vampyr, 1932), flanqué du directeur de la photographie Georg
Krause (Les SS frappent la nuit, Siodmak, 1957 et Les Sentiers de la gloire,
Kubrick, idem), le scénariste du Criminel
(Welles, 1946) ne nous inflige un film horrifique à la truelle, au contraire,
mein Herr, dont le romantisme sombre, molto germanique, la dimension cruelle, sexuelle,
existentielle, la dialectique identitaire et contradictoire à la Descartes, à
la David Cronenberg, savent s’alléger d’un soupçon de sourire, de jeu
(mal)heureux avec une imagerie depuis déjà longtemps rassie, en dépit des
essais de revitalisation réussie, signés des sieurs Fisher (Frankenstein
s’est échappé, 1957) & Morrissey (Chair pour Frankenstein,
1973), par exemple au niveau des noms, énumérons les symboliques, explicites,
professeur Abel (& Caïn), docteur Odd (ange étrange, mauvais, en effet),
son confrère Burke (& Hare), en plus de l’inspecteur Strum (und Drang), de
la Lilly sans doute à demi Lilith, chic.
N’en déplaise à l’usité « sérum
Z », pas comme Zorro, comme zombie,
oui, La
Femme nue et Satan ne s’apparente à une série Z, justement, interroge
assez intelligemment la dichotomie de la carasse et de l’esprit, notez le zeste
d’inceste paternel par procuration et d’euthanasie cette fois-ci guère nazie,
quoique. Karin Kernke y incarne, au sens littéral du vocable, une infirmière
difforme, une bossue bienvenue, en tout cas pour le toubib psychotique, sorte
d’ersatz fou du loup-garou, bien décidé à fissa transformer l’insereine Irene
en reine de beauté, tant pis pour l’impeccable Christiane Maybach, sculpturale
strip-teaseuse servant de modèle peu modèle au peintre jaloux, désargenté,
cependant doté d’un renommé pedigree
respecté par les rapides policiers. Auteur d’une transplantation, davantage
d’une conservation post-décapitation,
d’une tête de toutou, Michel Simon, caïd cardiaque, se voit vite réduit contre
sa volonté à l’état, tais-toi, de talking
head surréaliste, because donneur moins âgé, en bonne
santé, illico décédé, dommage.
Division au-delà du greffon, puisque Odd s’avère être Brandt, médecin marron
presque passé par la case prison, puisque Lilly s’appelait Stella, de mari
empoisonneuse point miséricordieuse. Opérée, repérée, de retour au cabaret,
automatisme d’anatomie, d’enquête (de) suspecte, Irene se prête à la picturale
immobilité, se relie à l’enfuie Lilly, donc dessoudée, suivez, SVP, assassinat via une voie ferrée en accident ou
suicide déguisé, au moyen d’un grain, à la fois de folie, de beauté, CQFD.
Lui-même victime d’expérimentations mentales intrusives, abusives, Odd, doué de
l’intensité très concentrée de Horst Frank, bientôt parmi le casting choral du plus rigolo Les
Tontons
flingueurs (Lautner, 1963), couche avec sa créature impure, en train de
découvrir en accéléré les puissances de sa sexuée sensualité.
Un autodafé final, fatal, une chute
abrupte, mettent un terme, in extremis, à la démence et à la démesure
de l’hubris ; néanmoins, la malédiction de l’incorporation aux allures
d’aliénation, voire de révélation, persiste, Irene, épaulée par Paul rappliqué,
s’enfouit au sein malsain, encore nocturne, d’une forêt d’effroi rétrospectif à
la Dante, allez, ou de conte de fées défait contaminé par l’écran démonisé de Miss Eisner Lotte, olé. Si la liberté se
dilue, l’altérité s’intériorise, en écho à une culpabilité nationale désormais
dissimulée, filigrane insane, afin de mieux ressurgir à l’avenir, au creux
tortueux d’une psyché individualisée, d’un corps social terroriste et
terrorisé, incertain terrain de rapports de force différemment atroces, ensuite
analysés, affichés, affirmés, par le flamboyant Fassbinder. Émule de Mabuse
& Mengele, Odd pratique quasi à
distance, vive la vidéo-assistance, sort dehors, attiré par l’astre du
désastre, se jette dans le vide, démiurge dingue, tragique, livide. Fi de
Freud : le « refoulé » jamais ne « fait retour », sur
lui toujours se fondent des fables affables, peuplées de personnages
insoupçonnables, insoupçonnés, obsédants, obsédés, à l’instar de ceux d’Orson
(Welles, who else?) & Horst.
« Faire peau neuve » promet-on en français – à sa mesure mesurée, d’opus pudique, soigné, a priori
à succès, aujourd’hui bien oublié, La Femme nue et Satan démontre
l’impossibilité, sinon l’absurdité, du rassurant idiomatisme. Le passé ne
saurait passer, trépasser, se dépasser, il pèse sur le présent, il infuse
l’instant, ses crimes les anti-héros et les anti-héroïnes déterminent, peu
importe leur nouvelle apparence, leur ancienne souffrance.
Voici, en définitive, l’unique, lucide,
vraie nudité de la morose moralité, mise à nu allemande des adversaires,
majuscule optionnelle, d’hier, étrangers, familiers, maudits intimes au miroir
du ciné remodelés, cf. dans la foulée les réversibles visages de Volte-face
(Woo, 1997), d’ailleurs relecture testostéronée du délicat et diffus Franju, boucle
bouclée d’une chirurgie esthétique à plein politique, rétive à l’absolution
amnésique, où deux femmes fortes et fragiles, configurée, défigurée, Karin
Kernke & Édith Scob, marchent en somnambules, en silencieux conciliabule,
consœurs traumatisées, anesthésiées, de la fameuse Galatée, du côté du
cauchemar réalisé d’Auschwitz égarée, nous éclairant, pénibles pygmalions
indignes et dignes du cabanon, au milieu merveilleux et monstrueux de leur nuit
infinie, celle des métrages en ligne et des outrages inaccessibles.
"Si ça doit tomber comme à Stalingrad... une fois ça suffit. J'aime autant garder mes distances!" Horst Frank, Les Tontons flingueurs (1963
RépondreSupprimerSon jeu distancié et glacial, son regard magnétique font que Horst Frank donne de la crédibilité plus contemporaine au milieu d'un décor de film digne du plus fumeux fantastique médico peu légal.
"Valery Spiridonov, un Russe de 30 ans a accepté d’être le premier patient à recevoir une greffe du corps complète. L’opération devrait être réalisée en 2016 par le chirurgien Sergio Canavero."
https://www.parismatch.com/Actu/Sciences/Il-veut-se-faire-couper-la-tete-pour-recevoir-un-nouveau-corps-745338