Jo : Madame Claude

 

Répétition, reproduction, consternation, continuation…

Comme si Oscar (Molinaro, 1967) croisait Sœurs de sang (De Palma, 1972) – pas de corps, pas de crime, yes indeed, canapé compris, oh oui. Cette comédie macabre, en écho délocalisé, assourdi, à La Corde ou Mais qui a tué Harry ? (Hitchcock, 1948, 1955), se base sur une pièce du couple Coppel, le sieur Alec d’ailleurs vrai-faux scénariste de La Main au collet ou Sueurs froides (Hitch, 1955, 1958), ici transposée en partie par Claude Magnier, le dramaturge/adaptateur du premier film cité, CQFD. Elle appartient à la fin de la filmographie de Louis de Funès, douze titres étalés sur une douzaine d’années, de 1970 à 1982. Entre trois tomes des (més)aventures de l’increvable et assez dispensable Gendarme (en balade, et les Extra-terrestres, et les Gendarmettes, Girault, 1970, 1979, 1982), de Funès, au propre, au figuré, ne se repose, n’indispose, tente des expériences, témoigne de son temps. Ainsi, Sur un arbre perché (Korber, 1971) matérialise, du côté de Cassis, l’équilibre précaire du capitalisme, surtout en automobile ; ainsi, L’Aile ou la Cuisse et La Zizanie, diptyque de Zidi (1976, 1978), se soucient de malbouffe et d’écologie ; ainsi, un autre tandem, cette fois-là en compagnie d’Oury (La Folie des grandeurs + Les Aventures de Rabbi Jacob, 1971, 1973), se moque du machiavélisme et de l’antisémitisme, avec Hugo ou à défaut, rejoint bientôt par le Molière de L’Avare (Girault & LDF, 1981), variation d’occasion, puis le René Fallet de La Soupe aux choux (Girault, idem), mélodrame rural, gérontophile, déguisé en précurseur pétomane de E.T., l’extra-terrestre (Spielberg, 1982). Quant à L’Homme-orchestre (Korber, 1970), il réchauffait Les Chaussons rouges (Powell & Pressburger, 1948), présageant la paternité compliquée de l’intéressé, sous peu papa de Coluche. Huis clos de studio, Jo (Girault, 1971) cristallise les deux tendances, ouvrages à cahier des charges ou davantage en marge, carbure au cadavre indésirable, aux quiproquos à gogo, à un kiosque de gazébo.

La mécanique comique ne manque de rythme ni de réussite, bien servie par du fidèle Raymond Lefebvre la musique. Dans une France d’enfance, dont le pompidolisme placide, à compilation poétique, paraîtrait presque sympathique, comparé à la vulgarité sarkozyste, à l’insipidité hollandesque, au mépris macronien, pseudo-médecin à vaccins malsains, un mari amoureux donc se démène, victime guère dramatique, de chantage invisible, au lignage indigne, d’Occupation-Libération, allons bon. Face au flic dichotomique de Blier, recyclé d’après celui du Grand Restaurant (Besnard, 1966), l’époux surmené, du couple à lits séparés, peut compter sur le soutien de sa dessillée moitié, actrice au carré. Opus choral, théâtral, Jo affiche une femme forte, MLF oblige, Claude Gensac s’y colle en coda, l’item immortalise sa classe, sa grâce, son talent élégant, séduisant. L’existence singe la scène, la mise en scène se dérègle, le cadeau prend l’eau, les quidams se succèdent, la malle se fait la malle, en effet… Chaque époque, on le sait, collectionne ses trépassés planqués ; le Jo de Girault, réalisateur, sinon de sa star serviteur, professionnel, impersonnel, le démontre illico, doté d’un modeste brio. Au terme de l’exercice, à pique-nique in extremis, la police s’impose en némésis, tandis que le décédé, au creux du coffre calé, remémore de Marion Crane (Psychose, Hitchcock, 1960) le triste sort. Distribué par la MGM, demi-succès en salles, ce divertissement d’antan n’incite à s’esclaffer, cependant à sourire, à proximité du pire, remarquez le moment de vérité, du réfléchi fantasme confronté à la froide réalité, durant lequel de Funès excelle, à interpréter l’impossibilité d’un assassinat de sang-froid, que le hasard, vaine victoire, illusoire, à sa place commettra. À l’ultime plan, course-poursuite infinie, frénétique, menace un gros orage, déjà survenu par le passé, pavillon pas solide cassé, comme si, en définitive, la décennie à venir ne prêtait pas vraiment à rire, plutôt à souffrir, sillage dessoûlé de l’insouciance supposée de la précédente, au fond tout sauf marrante, a fortiori en Algérie, confirment Jacques Demy (Les Parapluies de Cherbourg, 1964) & Alain Cavalier (L’Insoumis, pareil), Godard à l’avant-garde (Le Petit Soldat, 1960).         

Commentaires

  1. Joli coup de chapeau au grand Louis, à sa compagne de cinéma Claude Gensac qui campera une émouvante Marthe, vieille dame (amie de Lulu), qui à elle seule suffirait à sauver un autre film en demi-teintes à l'aune d'une époque en effet "tout sauf marrante :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Lulu_femme_nue_(film)

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    1. Merci ; l'évanouie Sólveig, je la découvris jadis, via ceci, séduisante résilience :
      https://www.youtube.com/watch?v=PW2ytjyqlBE

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    2. D'une Solveig à une autre icône en duo angéliquement cinématographique :
      https://www.youtube.com/watch?v=74RuAhSKG-k

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    3. Wim sans sa muse trapéziste :
      https://lemiroirdesfantomes.blogspot.com/2018/08/le-sel-de-la-terre-regain.html

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    4. Sans doute avez vous visionné ceci...Entretien avec Alexandre Astier - À propos de Louis de Funès (pour la cinémathèque française) : https://www.youtube.com/watch?v=hYTf9751FvU

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    5. Je le découvre grâce à vous, je connaissais déjà cela :
      https://www.youtube.com/watch?v=_LpPqTuBHn8&t=1s

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    6. Merci pour ce beau témoignage quand Alexandre Astier dit qu'il a l'impression que De Funès plane toujours quelque part au dessus de sa tête, j'ai de sitôt repensé à Jeanne de Funès dans le Jardin du Palais Royal qui me parlait de son cher Louis tout en dialoguant avec lui au travers du ciel voilé à teinte d'espérance, à 97 ans toujours énergique et l'esprit vif...

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