Wonder Woman : L’Espion qui m’aimait


Fête du Cinéma 2017, premier jour, séance de quatorze heures.


Naguère, Patty Jenkins signa le surfait Monster, « véhicule » pour Charlize Theron enlaidie afin de ressembler à une actrice oscarisée, accessoirement portrait inspiré d’un fait divers d’une tueuse en série de mecs ineptes réduits à leur braguette. La revoici longtemps après, aux commandes d’une belle histoire d’amour déguisée en blockbuster estival. Une mise au point s’impose d’emblée : dans Wonder Woman, on ne trouve aucun super-héros, Dieu merci, mais l’on découvre une déesse en mission. Avec son Identification d’une femme à elle, loin des brumes de Ferrare, plutôt dans le brouillard létal du gaz moutarde, la réalisatrice opte pour un classicisme de saison qui ne prend jamais le spectateur/la spectatrice pour des cons. Si les combats titanesques relèvent du jeu vidéo, si les paysages paradisiaques versent dans le chromo, ils participent aussi d’une réflexion en actes et en images sur l’idéalisme, la transmission, la représentation et la narration. Une mère raconte à sa fille le roman familial et martial de ses origines ; celle-ci devra faire l’épreuve du réel, se confronter au réalisme de la Grande Guerre, donc à son imaginaire, au-delà d’un récit épique inaugural aux allures d’animatiques, sorte de précis de mythologie vulgarisée à la sauce US, nimbé de picturalité à la Delacroix, en deçà d’une coda rétrospective et mythique, identitaire et légendaire. La fausse orpheline, sauveuse provisoire d’un monde porté à l’autodestruction internationale, désormais au service du Louvre, espace patrimonial de beauté, de mémoire, d’art, de la meilleure part de l’espèce, par conséquent, se souvient de sa propre chanson de geste. Une photographie aimablement fournie par Bruce Wayne sert de madeleine proustienne et souligne le dispositif diégétique mis en abyme.


Diana, chasseresse éprise de paix, immortelle sans âge mais pas sans courage, veuve maternelle préoccupée par les fils de l’homme si souvent violents, hélas, nous raconte son odyssée d’identité, depuis une île inviolable, pas inviolée, jusqu’aux corridors autrefois fréquentés par Juliette Gréco grimée en Belphégor, en passant par la grise Tamise, les infernales tranchées de Belgique et même une place de village où danser sous la neige, avant de monter dans une chambre et d’y faire l’amour à l’abri du moindre voyeurisme. À la fois folle et lucide, obsédée par son Arès et assimilable à une sainte protectrice et destructrice, surtout de clocher, elle gagnera un frère ennemi, divinité misanthrope, elle perdra un aventurier, qui lui avoue son amour alors qu’elle ne peut l’entendre, assourdie par la lutte, dont elle se remémore la déclaration sonore doublée d’un adieu, scène assez superbe et purement cinématographique, elle explorera, lumineuse, la noirceur, elle sondera la dualité de l’humanité, elle témoignera en faveur de l’amour, selon elle seul pouvoir rédempteur et guérisseur. Wonder Woman fait parfois penser à Splash, à My Fair Lady, aux Douze Salopards, aux Sentiers de la gloire, à Forrest Gump, à Highlander, à Mémoires de nos pères. Patty Jenkins donne ici et en entretien une définition équilibrée, pacifiée, du féminisme : non plus un rapport de supériorité imitative ou de domination inversée, sinon castratrice, mais une égalité avérée, une complémentarité d’actions et d’émotions, étayée par une complicité différenciée. Elle ose, en plein monopole du cynisme et de l’humanisme, faces désolantes d’une unique médaille, assumer sa sentimentalité, nuancer son manichéisme, refuser l’érotisation de son héroïne cependant irradiante de vitalité, d’envie, de désir.


Éloge adroit du discutable droit d’ingérence, jeu drolatique sur les stéréotypes, la « demoiselle en détresse » disparue au profit d’un jeune homme repêché puis sacrifié, trop lié à sa montre paternelle, à son horloge de mortel, divertissement très soigné, Wonder Woman s’avère en outre une attachante galerie de visages féminins, chacun porteur d’une biographie de cinéma et de vie. Retenons particulièrement ceux de Gal Gadot, irrésistible révélation, ancien mannequin, ex-femme en uniforme aux propos polémiques, d’Elena Anaya, chimiste défigurée, de Connie Nielsen, reine guère sereine, de Robin Wright, tante soldate – bien que Chris Pine, espion sincère, David Thewlis, parlementaire retors, Danny Huston, prototype nazi ou Saïd Taghmaoui, acteur discriminé, ne déméritent pas, loin de là, personnages virils et sensibles, fragiles ou terribles, flanqués d’une ONU de la masculinité solidaire et suicidaire, ces femmes-ci constituent le véritable émerveillement d’un film centré autour d’une femme-merveille se demandant – double sens de wonder – comment concilier des natures et des parcours a priori opposés, en tout cas antagonistes, car elle incarne elle-même ce dédoublement, d’une manière harmonieuse et généreuse.


On le sait, le spectacle et l’expérience de l’injustice, de la haine, de la cruauté, du mal peuvent amener à la colère, au mépris, à l’indifférence, au retrait, voire à la révolution ou au terrorisme, sinistres caricatures d’utopies-impostures. Diana, certainement blessée, tout sauf désenchantée, à l’aube de la fraternité, au crépuscule de la liberté, paraît sur le point de s’engager à nouveau contre ce qui nous détruit, et pas n’importe où, puisqu’elle s’élance, souriante, au-dessus de Paris : Wonder Woman, œuvre ludique, mélodramatique, politique et cosmopolite, réussit à séduire par sa capacité à saisir quelque chose du présent, de l’éternité réinventée, à peindre une féminité armée de foi en soi et autrui, peu importe la langue, le genre, la couleur de peau – pas de sein coupé, pas de gloriole patriotique, rien que la candeur adulte d’une princesse enfin débarrassée des contes de fées phallocrates ou conservateurs, peu encombrée d’une kitscherie télévisée néanmoins aimablement saluée avec les remerciements du générique à la sympathique Lynda Carter, dédicace paternelle-mémorielle incluse ; good job et agréable surprise, Miss Jenkins !

            

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