Wallay : Le Petit Voleur
Fête du Cinéma 2017, quatrième et dernier jour, séance de quatorze heures.
Juif natif de Suède, citoyen suisse
et burkinabé, documentariste et activiste d’Afrique, Berni Goldblat nous
raconte une histoire d’origines, de racines, d’exil et de retour. Un gamin
écrit une lettre à sa correspondante, adolescente au loin – six mois plus tôt,
il faisait du business avec ses potes
et se faisait gifler par son paternel célibataire. Sans mère, sans repères,
sans biens autres qu’un clip de rap
dans lequel il figure, le maillot de l’équipe de football du Brésil, son casque audio, son cellulaire conçu par
Steve Jobs, sa tablette tactile, le voici expédié illico au Burkina Faso, chez tonton Amadou, homme âgé, un peu
aigri, aussi inflexible que sa béquille. Là-bas, il trouve un grand frère, Jean,
lui-même adopté par le patriarche, et un chapelet de femmes, belles, sereines,
bosseuses, berceuses. Il va trouver davantage, il va se (re)trouver lui-même,
peu à peu se déposséder de ses colifichets de modernité. Ici, trop avoir
équivaut à manquer ; ici, la menace d’une circoncision plane sur l’avenir
et à l’horizon du sauvageon pourtant toujours poli, qui dit merci quand on lui
offre du délicieux lait caillé sucré, de la bouillie ou du pain au lieu des
saloperies céréalières avalées le matin à Vaulx-en-Velin. L’issue du récit, de
l’odyssée intérieure au goût, à la couleur et à la douleur joyeuse d’ailleurs,
ne fait aucun doute, elle se voit donnée dès l’orée. Voici un film initiatique
sur une initiation, qui expose une métamorphose, en douceur et langueur, malgré
sa brièveté, son rythme cadencé par des morceaux musicaux délicats, adéquats.
Comment grandir ? Comment devenir un homme, même petit, même « petit
mari » ou « petit Blanc » au teint plus clair que ses compères ?
Comment rembourser les mandats détournés, envoyés depuis la France, depuis
l’absence, à des membres d’une famille solidaires et cependant solitaires, peu
visités alors que les êtres chers vivent à côté, à deux heures de marche, deux
jours si l’on passe par une forêt « sacrée » censée vous épuiser,
vous purifier ?
L’ouvrage, sage comme une image
juste, jamais exotique, touristique, compassionnelle, irrationnelle, montre
cela, avec habilité, aisance, sans une once de complaisance ni de naïveté.
Chic, l’Afrique ? Oui, mais encore marquée par un dénuement de chaque
instant et plan, par une temporalité différente, à la fois plus terrienne et
aérienne, par un sentiment d’appartenance qui appartient également à l’enfance.
Le gosse, adoré par sa grand-mère qu’il adore en retour, dort ainsi dans la
chambre d’enfant de son père, peu changée, certainement, depuis son départ pour
l’Eldorado occidental, si souvent décevant, si peu généreux, transi dans sa
peur et dans son malheur, erreurs fabriquées à demeure. Les visages, placides,
terribles, souriants, accueillants, narrent une histoire de rencontre, de
séjour contre la montre puis tout près du cœur, quand il faut quitter ceux qui
ne vous vendirent rien, qui vous apportèrent tant, leur amour, leur tendresse,
leur premiers baisers pas un brin truffaldiens. Le héros de notre temps, un
salut au cynisme du personnage de Lermontov, « fils de son époque plutôt
que de son père », comme le dit la vieille ancêtre derrière ses lunettes,
dans sa robe à ravir un peintre, tombe amoureux, tombe de haut, tombe à l’eau
afin de sauver de la noyade le vieil homme incapable de lui dire que
l’opération doit avoir lieu demain, même sous la pression du médecin croisé en
barque. Au bout de la panique, de l’effort, trois générations se raccrochent à
la frêle pirogue de pêcheur, gagne-pain de misère en euros dans un lac rempli,
paraît-il, de crocos, ce qui n’empêche pas le marmot, insolent en sueur, de s’y
délasser. Quelque chose de l’humain, de sa meilleure part, passe dans ces
secondes, et l’on cesse vite de prêter attention à la peau, à la langue, aux
aliments, aux traditions du coin, « pas un bled », pas une capitale,
bien que nanti d’un marché où se procurer la même camelote que dans
l’Hexagone, précise le souriant Jean, « beau gosse » amoureux,
médiateur, sur le point de se marier.
Ces gens vivent et respirent
l’Afrique : ils s’inscrivent donc de manière existentielle dans un cadre
plus large, plus essentiel, qui nous les rend immédiatement fraternels, peut-être
plus proches, logique ironie, que moult de nos semblables à l’agonie, murés
dans la plus désolante des variantes de l’individualisme capitaliste. Une fois
encore, rien d’édénique à l’atterrissage, rien que la beauté assez
bouleversante d’un paysage antique, historique, irréductible aux aléas de
l’Histoire, de la présence coloniale. On le disait, ce film centré sur un
enfant n’oublie pas les femmes alentour, et son idylle estivale, altière, traductrice
fidèle et maternelle, se signale par son charme distant, par son refus taquin d’aller
plus loin sur un matelas incongru, cadeau à la mamie glissé au sol de sable,
par son ultime sourire et la fraîcheur de ses lèvres dans le taxi final. Cette
féminité nous plaît, comme nous touchent les mains serrées de l’oncle et du
minot dans une pièce aménagée en hosto, avec perfusion et sommeil réparateur
après la grande frayeur. Pas de pathos, pas de discours démonstratif sur les
vertus du bercail, pas de regard racoleur ou rusé : Goldblat filme sa
fable réaliste avec une précision et une discrétion qui savent où elles vont,
qui ne cèdent pas à la contemplation ou à la narration. Porté par un candide très
convaincant, doté de la grâce de son âge, le métrage constitue à sa façon une
belle passerelle entre les pays, entre les passés, entre les futurs à écrire et
cinématographier ensemble. Hollywood ou Nollywood ? Ceci, à vrai dire,
importe peu, et une partie de la réponse se trouve sous nos yeux. Le cinéma
d’Afrique demeure largement méconnu, tandis que le cinéma tout court dessine et
excède les frontières géographiques, économiques, culturelles, traditionnelles.
On ignore la réception critique d’un
film présenté à Berlin, co-production française sous l’égide de la Région
Auvergne-Rhône-Alpes, et cela ne compte guère itou, puisque l’on prit un réel
plaisir à découvrir un imaginaire ancré dans la réalité, un parcours aussi
vieux que l’univers des hommes, que leurs continents, rafraîchi par une
sincérité, une simplicité, une modestie bienvenues. Le réalisateur ne cherche
pas à dépayser, à édifier, il laisse l’ethnologie et la pédagogie aux experts
assermentés. Finalement, tout repose sur le langage du partage, sur la
compréhension au-delà des mots et des maux, sur un échange constant entre les
personnalités, les projets, les dettes à solder, à payer avec sa bonne volonté.
À l’heure où les tensions identitaires travaillent et sapent les sociétés
internationales, où semble régner la tentation du chacun pour soi, chacun dans
sa niche, dans son ghetto, dans son imagerie et son déterminisme, ce film
sensible et adulte, bien qu’il puisse dialoguer sans difficulté avec des ados
de partout, propose autre chose, pas une solution providentielle, tombée du
ciel ou de l’écran, non, disons une vision de réconciliation, avec soi-même et
autrui. Éloigné des idéalismes et des grandes idées, il se situe à hauteur
d’homme, d’enfant sur la route de la maturité, il gagne en densité au fil des
séquences, il permet d’assister à la naissance d’un personnage et non au
ressassement d’un message – voilà pourquoi il convient de considérer Wallay
pas uniquement comme un joli premier film de fiction mais comme une réussite avérée à dimension cosmopolite.
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