Comment faire un film : Comme une autobiographie
Emma à mi-voix.
Entre mars et décembre 2002, Claude
Chabrol s’entretient avec François Guérif à Paris. Il en résulte cette
méthodologie raccourcie (85 pages en poche), anecdotique au double sens du
terme et cependant sympathique, aussitôt ouverte, déjà refermée. Le lecteur en
quête d’un vrai viatique technique restera sur sa faim (voire fin), le
réalisateur à vrai dire et selon ses propres dires peu épris de technicité.
Conseillons-lui plutôt d’acquérir un ouvrage pratique écrit et pensé « à
l’américaine », comme on dit parfois d’un (efficace) tournage hexagonal,
puisque le pragmatisme outre-Atlantique s’en fait une spécialité. Disons qu’il
s’agit davantage d’un petit pèlerinage de septuagénaire au pays de ses
souvenirs, de ses admirations, de ses vacheries inoffensives. Chabrol joue en
sourdine au nostalgique, se gausse de ceux qui veulent travailler dans la
créativité, oppose scolairement le montage analogique à son avatar virtuel. La
TV reste un mauvais élève traditionnel, les cinéastes se divisent en conteurs
ou poètes, mot entre guillemets, le scénario précède le producteur et les
acteurs, toujours inquiets, se doivent d’être rassurés, avec un machiavélisme
magnanime. L’évocation des étapes de fabrication ne manque pas d’humour ni de
distance – ce qui valut pour l’intéressé ne correspond pas à tout le monde –
mais se signale par son caractère désuet, conventionnel, officiel, saveur (ou
insipidité) ironique pour un ancien héraut de la médiatique et médiatisée Nouvelle
Vague (Godard, sous sa plume, devient prisonnier de sa forme, le pauvre). Le
bon Claude, paix à son âme, théorise sans pesanteur et sans s’attarder cinéma
de réflexion et cinéma de sensation, salue les petits métiers, souligne
l’importance des électros, des machinos, de l’accessoiriste, de la script-girl (à quand une parité au masculin,
hein ?).
Il dresse l’éloge modéré du Combo, se
méfie de la musique, incapable de rythmer (ou capable de concurrencer, avec
effet de redondance) la musicalité intrinsèque du métrage. Si le mixage le
ravit, s’il s’interdit de tripoter l’étalonnage, la phase de l’exploitation
puis de la réception par la critique et le public le laisse indifférent,
vraiment. La coda, de manière assez étonnante, adresse un tacle voilé à Hitchcock,
associe le temps de la prise de vues à une jouissance et ne le pense plus en
exercice rajouté, à effectuer après
le film, désormais établi en esprit ou via un story-board. Ici, le style reste libre, contrairement à
l’idée réfléchie : le plan dépend du décor (souvent naturel), de l’instant, de
l’alliance harmonieuse (idéal final) de tous les éléments en présence,
notamment la relation avec le cadreur et
le chef opérateur (fidèle Jean Rabier), aux avant-postes de l’image, du cadrage, de
l’hommage-outrage (se méfier de la belle photo moche). On croise le temps d’une
ligne ou d’un paragraphe Gilles Grangier et Julien Duvivier, Gordon Douglas et
Richard Thorpe, Ernst Lubitsch et Fritz Lang, William Wyler (expert en
profondeur de champ) et Sidney Lumet, Mankiewicz (maître du son) et Buñuel, Max
Steiner, Miklós Rózsa et Paul Hindemith, Carson McCullers et Charlotte Armstrong, Michel
Audiard et Sacha Guitry, Marin Karmitz et Alain Poiré, le « père »
Salkind et Claude Autant-Lara, Roger Hanin et Alain Delon, Isabelle Huppert et
Nicoletta Machiavelli, Rossellini, Bolognini et Visconti, la fameuse règle des
180 degrés ou le shooting en DV. On
le voit, on le lira, rien de très transcendant au sein de l’opuscule, rien de
ridicule non plus, au demeurant. Convenons d’y voir un carnet de notes
personnel à usage collectif, une conversation aux allures de monologue, un
récapitulatif rétif à la chaire – Chabrol, tel qu’en lui-même ses amusés
conseils le changent…
pour des leçons de cinéma, il y a Hitchcock / Truffaut que j'ai découvert dans la bibliothèque de ma mère, un livre fascinant, un de mes métiers rêvés aurait été cinéaste ... Autrement pour Claude Chabrol j'ai été impressionné par son film "La cérémonie" avec Isabelle Huppert et Sandrine Bonnaire
RépondreSupprimerOui, la Bible laïque, délectable et discutable, d’une certaine cinéphilie, surtout franco-américaine… Chabrol commit aussi, d’ailleurs, avec Rohmer, un éclairant essai sur le cinéma hitchcockien, boucle bouclée ou CQFD ; je vous recommande la lecture de L’Analphabète de Ruth Rendell, court roman largement supérieur à cet intéressant ratage, politique plutôt que cinématographique.
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