Les Hommes du feu : L’Aube rouge
Fête du Cinéma 2017, troisième jour, séance de vingt-et-une heures.
En 1989, Pierre Jolivet réalisa une
sorte d’exploit : rendre presque supportable Patrick Bruel dans Force
majeure ; en 1991, il signa Simple mortel, un film fantastique
maladroit mais original, ou idem à
l’envers, porté par un Philippe Volter universitaire, partenaire au même moment
d’Irène Jacob dans le davantage troublant La Double Vie de Véronique. Puis le
frère d’un humoriste sinistre, le meilleur ennemi de Luc Besson, pour lequel il
écrivit Subway – on ne rit pas, s’il vous plaît –, le soutien des
François, Bayrou avant Hollande, admirez ou regrettez le spectre des
engagements politiques, le défenseur de la risible « exception culturelle »
à la sauce européenne, s’orienta vers le supposé réalisme social à la
française, léger malaise, dès l’appellation, non ?, en Pygmalion de
Vincent Lindon, l’acteur riche qui adore jouer les personnages pauvres, sur et
hors écran. Le reste de sa filmographie, franchement, on s’en contrefiche. En
2017, revoilà Jolivet aux manettes d’un film de pompiers, présenté en
avant-première en province dans une salle pleine de civils et d’uniformes bleu
marine. Après la projection, quelques huiles locales viendront gentiment racoler,
pardon, recruter, en soulignant l’exactitude d’ensemble de l’ouvrage, son
caractère volontaire, émouvant et tellement humain, à l’image de ces hommes
héroïques dont l’éthique, voire l’élémentaire modestie, leur fait refuser de se
considérer en héros, point trop n’en faut. En vérité, en parfaite subjectivité,
Les
Hommes du feu fait bel et bien long feu, sur tous les tableaux, pas
seulement celui des gardes, tout au long de ses longues quatre-vingt-dix
minutes.
Il échoue partout et cela dès le
deuxième plan, sapeur-pompier au repos, au lever du jour, endormi sur un canapé
d’appoint, alors que le tout premier, la caserne saisie en hauteur, en légère
plongée, dans une perspective mettant en valeur le Scope, voire l’inverse,
pouvait augurer d’un formalisme en dialogue accidentel avec Album
de famille, ce dernier donnant d’ailleurs l’impression de parvenir à
élargir le format 1.85 par la seule puissance pensée, un peu trop, tant pis, de
ses cadrages. Le « super strange » de la réplique du standardiste
renseigne les moins attentifs autant que la scène pré-générique, vengeance
drolatique de l’équipe à l’encontre de faux soldats du feu, de deux vrais
arnaqueurs déguisés, qui « puent des pieds » : nous voici pour
de bon, pour de vrai, pour longtemps, dans un film français, comprendre, dans
un téléfilm de luxe co-financé par la TV, ici Canal+ et France 3 Cinéma, d’où,
sans doute, la plus-value paysagère et langagière, savourez les accents de
l’Aude, ses champs dorés, ses broussailles cramées, cent trente hectares,
pensez, son village suranné faussement pagnolesque et sa bagnole incendiée,
présage du bus de la cité en effet chaude. Le récit, commis par Jolivet en
personne, jamais si bien desservi que par soi-même, hein, repose sur trois
lignes narratives d’une vertigineuse vacuité – conséquences judiciaires d’un
accident, enquête autour d’un pyromane, challenge entre musculeux marathoniens,
celle-ci encore plus anémiée que les autres, finalement liquidée lors d’une
séquence réconciliatrice après les tensions provoquées par une possible
fermeture du centre d’intervention. Justement, les interventions se déploient
de manière binaire, elles alternent, en caméra portée, avec des instants
d’échanges, des morceaux de vie(s) privée(s), des esquisses des us et coutumes
des mecs entre eux, une femme au milieu, mes aïeux.
Émilie Dequenne, mère incomprise,
s’entend bien avec Roschdy Zem, père divorcé, un peu moins avec un rouquin
homophobe, rédimé in extremis,
rassurez-vous, rétif à recevoir des ordres au féminin, surtout que la recrue nouvelle
vient, peut-être, insoutenable suspense
moral, de faire une faute professionnelle risquant d’accélérer le dégraissage
administratif. Tandis qu’elle va voir le comateux en cause, il la blanchira,
va, notre Pierrot pas vraiment lunaire adresse un clin d’œil aux délectables
Dardenne, frérots falots de la bonne conscience indignée, combative, agressée
mais digne, rejoins-moi, camarade, n’oublie pas, cependant, de payer ton ticket, il faut bien acheter de quoi
cirer nos prix internationaux obtenus sur le dos des vrais infortunés :
voici Bénédicte Meursault – oui, oui, comme dans L’Étranger, elle tient
plutôt à Béné, allez – filmée de dos, à l’épaule, longeant le couloir de la
mort ou de la culpabilité. Les Hommes du feu, avec une
constance qui frise l’inconscience, persiste dans sa structure bipolaire,
petite chose tranquille, inoffensive, insipide, dirigée par un sexagénaire
parti tourner au soleil, pourquoi pas à la recherche proustienne de son séjour professionnel
au Club Med. Incapable de se hisser au-dessus de sa chronique au ras du sol et
bas du front, pas fichu d’extraire de ces pantins bien peignés, bien proprets,
bien orientés – un aspirant gay, une
parturiente noire, un supérieur au teint mat baptisé Philippe, Jolivet
reprenant le gimmick bessonien du
Daniel des Taxi, à croire que la discutable intégration ne tient qu’à un
prénom, que ses Nouchi/Sami d’antan choquaient le politiquement correct, le
gênaient lui et autrui –, une once de vérité, de présence, d’existence, le film
ne prend aucun risque, se borne à une psychologie comportementaliste et
déterministe de minable série télévisée, à des aphorismes de classe maternelle,
du style, sidérante coda, « Oui, le feu, c’est beau. De loin. »
Avec sa dramaturgie inexistante, sa
réalisation de contrefaçon, son féminisme de façade, a fortiori face à celui, épanoui, pas misandre, de Wonder
Woman,
avec sa sociologie à la Benetton, son pathos de kleenex, cf. le récit de la
compagne en période ovulatoire à propos d’une gamine morte, son goût
impersonnel de feel good movie,
sous-genre consolateur et mercantile édifiant, désolant, Les Hommes du feu ne
mérite que de partir aussitôt en fumée fumeuse et son cinéaste fumiste que de
s’enfouir dans une cuve viticole, à l’instar de la silhouette à sauver,
asphyxié par les insondables abysses de sa superficialité, itou pour le fiston à la partition transparente, aux chansons
apparemment anglophones. La mystique des flammes façon Lynch dans Sailor
et Lula ? Non pas, non, surtout pas, cela troublerait le futur
téléspectateur, déjà envapé par l’impayable vingt-heures. Toutefois, au sein de
ce naufrage qui se voulait hommage, surnagent un personnage impressionnant et
un instant saisissant : le commandant défiguré par un brasier inconnu, la
scène de la suicidée par pendaison dans sa robe de mariée immaculée, soutenue,
décrochée, serrée dans ses bras par notre homme du feu talentueux enfin
taiseux, à l’instar de sa muette partenaire appréciable, qui le regarde ét(r)eindre
en silence le cadavre consumé par un désespoir invisible, inextinguible. Là, le
film se libère de lui-même, de son programme télé, oh ouais, il fore des
secondes d’horreur organique et de terreur tacite mille fois plus évocatrices,
éloquentes, que le solidaire et le spectaculaire au rabais, désargentés, du casting alentour et des foyers reconstitués
en mode MJC. Pas assez, cependant, pour racheter le navet navrant, bientôt
diffusé sur le petit écran, sa place de naissance, d’indifférence,
d’obsolescence.
Moi qui voulait lire un avis sur ce film dont je ne savais encore rien sinon rendu curieux par une affiche et le nom d'un réalisateur qui à l'occasion avait pu me laisser apprécier quelques-uns de ces films... Voilà un rendez-vous à ne pas vouloir privilégier.
RépondreSupprimerUn point de vue parmi d'autres, assumé en parfaite subjectivité ; à vous de vous faire le vôtre, surtout si vous aimez Émilie (jolie). Ou bien laissez tomber l'affiche et le patronyme en allant voir du vrai cinéma, oui-da...
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