La Momie : Code Mercury


Fête du Cinéma 2017, premier jour, séance de vingt-et-une heures.


Même récit introductif, même recours à la mythologie, même détour par l’Angleterre, même présence d’un musée, même féminisation du protagoniste, même nudité masculine, même sens du sacrifice, même transparence de la réalisation et même enrobage musical made in Hollywood : à première vue, on pourrait rapprocher La Momie de Wonder Woman. Mais, telle la fille infortunée privée du trône royal, signataire d’un pacte faustien anachronique avec un dieu à tête de chien, voire de chacal, d’où sa double pupille dédoublée, puits d’ambre revanchard au fond desquels contempler une éternité tatouée, assoiffée de survie et de résurrection, il convient de mieux voir, de regarder en stéréo, pour ainsi dire. Sous la relecture des aventures d’une chère créature lucrative depuis bientôt un siècle, sous le remix des improbables rencontres humoristiques entre les monstres du bestiaire littéraire annexé par Universal, se dissimule à peine une assez plaisante série B munie des imposants moyens d’une série A. Exhumer le passé, le cinéma, finalement, ne fait jamais rien d’autre, art funéraire au présent toujours différé, surtout lorsqu’il recycle des imageries plus ou moins métaphysiques. Dans la momie, il trouve une figure idéale, encore plus méta que le vampire ou le mort-vivant, le sarcophage en présage de la boîte à bobine ou du boîtier de DVD. Si les morts égyptiens reviennent hanter les vivants contemporains, titiller les Templiers britanniques ou faire saliver les voleurs de sépultures égarés dans l’Irak des talibans, à feu et à sang, les pilleurs sympas peuvent vite (tré)passer de l’autre côté, à travers le portail d’une pierre tombale, d’une bouche d’ombre géante plutôt inspirée par Munch que par Hugo, qui deviendra plus tard un vertigineux visage de vent et de poussière à l’assaut d’une capitale catastrophée cadrée en contre-plongée, marqueur de la terreur directement issu de la grammaire médiatique du 11-Septembre. 


Tom Cruise, rescapé maudit d’un crash aérien, subit l’influence d’une princesse promise à deux reprises à un embaumement in vivo, prisonnière d’un lac de mercure ou cobaye à brûlante injection. Sa part lumineuse vaincra in fine sa part obscure, au prix de son exil loin du docteur Jekyll, désormais membre d’une société secrète – Russell Crowe, amusant et amusé, se délecte de sa dualité, les ustensiles chirurgicaux de son cabinet chipés à la panoplie des jumeaux gynécos et schizos de Cronenberg –, de sa fuite littéralement hors de la vue de l’archéologue de son cœur, manipulatrice amoureuse revenue d’entre les mortes sans Hitchcock. Alex Kurtzman, producteur de l’endeuillé Cowboys & Envahisseurs, connaît ses classiques, uniquement cinématographiques, certes, entiché de Shining, Simetierre, Le Survivant d’un monde parallèle, Mission to Mars, La Guerre des mondes selon Spielberg, L’Enfer des zombies du maritime Lucio Fulci et Superman, lui-même Orphée à la mode américaine, davantage que de Théophile Gautier. Karl Freund et Boris Karloff peuvent aller se rhabiller dans leur noir et blanc expressionniste aux chouettes bandelettes, idem pour Christopher chez Fisher, le charnel Chamanka et le gérontophile Bubba Ho-tep : La Momie se signale par ses ténèbres a giorno, son désert de sable solaire, comme si David Lean biographe de Lawrence confondait l’Arabie avec la Namibie, sa chasteté, son jeunisme, de corps et d’esprit. On pouvait à raison redouter un son et lumière épuisant, abrutissant, après l’agitation et le bruit de la précédente trilogie, conduite par ce grand dadais pardonné de Brendan Fraser. Heureusement, le film ne succombe en aucun cas à l’excès d’effets, quand bien même une pléthore de spécialistes, pas seulement formés par ILM, décore le générique roboratif.


Bien sûr, on peut reprocher à La Momie, succès public, échec critique, de manquer d’âme et de profondeur, de privilégier le spectaculaire aux dépens du mélodrame, de négliger le lyrisme létal de son sujet, de s’achever par un prolongement à la limite du mercantile, porte ouverte sur un épisode suivant pas vraiment nécessaire. Le grand Tom semble aussi passablement fatigué de ce genre de divertissement inoffensif, anodin à défaut d’être mesquin, acteur musclé déjà momifié de son vivant, à la poursuite d’une aura disparue, rejouant la danse macabre de Eyes Wide Shut, autre opus similaire et suprême, tellement troublant, peuplé de fantômes et de fantasmes, de mystères ésotériques et de femmes damnées, action hero en pilotage automatique, drolatique et sado-masochiste, dans le sillage interminable de Mission impossible. Cette fois, la directive et British Annabelle Wallis remplace Cameron Diaz jadis atteinte de bovarysme dans Night and Day ; flanqué de Christopher McQuarrie, l’auteur du raté Jack Reacher, David Koepp, le scénariste de L’Impasse et du premier volet des mésaventures de Ethan Hunt, co-signe une histoire de renaissance et de rédemption, qui fait du Mal une puissance extérieure et supérieure, une pathologie intime soignée à la dure, via un sérum immunologique propagé, en bonne logique symbolique, par la main gauche, localisation culturellement diabolique, par ailleurs orientation graphique de votre serviteur !


Malgré sa misogynie latente – une femme ne peut prétendre au pouvoir, ou alors elle se révèle parricide, infanticide, succube, meurtrière en série et chaos incarné, n’en jetez plus, merci pour elle –, sa superficialité délassante, son professionnalisme anonyme, La Momie demeure un bon moment de ciné à ticket modéré, une parabole au rubis à la Snake Eyes, encore un script de David K. pour l’immortel Brian De Palma, non plus fiché dans le mur d’un casino dévasté par un dies irae catholique mais placé au bout d’une dague infernale et phallique, telle l’épée de Diana la merveilleuse, à planter dans le torse de l’élu immolé pour la venue de Seth. De plus, il révèle une charismatique tentatrice nommée Sofia Boutella, par ailleurs danseuse pour Madonna, voilà, qui vaut à elle seule mille pyramides et deux petites heures en sa captivante compagnie, à la fois érotique et nécrologique.


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