La Tour du diable : Le Phare du bout du monde


Suite à son visionnage sur le service Médiathèque Numérique, retour sur le titre de Jim O’Connolly.


Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les cœurs mortels un divin opium !

Baudelaire, Les Phares, Les Fleurs du mal

« Masturbation is so boring » affirme Nora, femme estampillée libérée de 1972, cougar avant l’heure, membre d’un quatuor de scientifiques échangistes. Ennuyeux, l’onanisme ? Cela reste à prouver, cela fait sourire (ah, l’humour britannique des joutes féminines verbales et vulgaires), surtout que le métrage exhumé désintéresse assez, amuse par indulgence. Pur (impur au niveau des intentions) produit d’exploitation à la con, Tower of Evil (le mal ? Le mâle) donne le ton (la caméra tourne en rond, littéralement) dès son générique, prend de la hauteur au-dessus de son phare phallique (maquette proprette), annonce la couleur rouge sang des amputations par ses lettres écarlates (Hawthorne ? Agatha Christie sans statuettes nègres). Nous voici, les amis, en pleine drame freudien, où la vierge (même meurtrière) survivra, y compris en catatonie psychique (remember l’immobilisme mortel-mémoriel de Je suis vivant !), hypnotisée à coup de phares (de voiture) colorés, où celle qui ne pense pas à la bagatelle, lectrice esseulée, assistera saine et sauve à l’incendie salvateur, explosion paraffinée du final comme un orgasme minéral, une éjaculation de conclusion. Gare aux rapports, préliminaires de mort, souvent violente, parfois inventive : chaste morale lapidaire du slasher, bientôt retrouvée dans Vendredi 13, autre histoire de mère (un lac forestier substitué à la mer écossaise) démente et coupable (« sublime, forcément sublime », rajoutait Marguerite Duras à propos de Christine Villemin, hein). Ici, on porte des pantalons à patte d’éléphant (finesse éléphantesque du script comportementaliste), on fume de l’herbe sous la lune (pas si sanglante, très peu shakespearienne, bien que Hamlet s’avère aussi un récit de folie familiale, de huis clos mental, de reproduction théâtrale et d’impuissance investigatrice), on voudrait forniquer après un bain de minuit mais l’on devra se contenter d’une fellation hors-champ, tant mieux ou tant pis.

Une épée phénicienne (le Liban s’en balance), pénis doré, métonymie d’un antique trésor à déterrer à l’instar du refoulé théorisé (ou terrorisé, voire terrorisant) de la psychanalyse, vient s’empaler en retour en arrière dans le poitrail d’un ado chevelu, le plaquer contre un mur, papillon humain fiché pour l’éternité dans son t-shirt orné d’un… papillon, ducon, tu suis, oui ? Une main, coupée à l’avatar local de la serpe, porte encore sa tocante et sert de cendrier à un crabe audacieux. La tête d’une jeunette (« Une fille perd souvent la tête dans une chambre », en effet, CQFD), envahie de funestes vibrations, dévale un escalier en contre-plongée, vers nous, avant de s’immobiliser au sol, accessoire de Grand-Guignol au caoutchouc de mauvais goût. Ça émascule pas mal, au sein de cette architecture à la Elseneur, transpositions scolaires de la castration masculine censées causer des sensations fortes au public décérébré, sises en plein terrain miné du féminisme revendicatif des seventies. À défaut d’immoler son soutien-gorge, on fera cramer l’érection verticale, et les grottes en dessous, figuration à deux sous du Ça, celui de Sigmund avant le clown pédophile et revanchard de Stephen King (Inseminoid relira ce décor appauvri, quelque part entre le labyrinthe de la mythologie et le terrier de la merveilleuse Alice de Lewis, en cavité utérine, dans le sillage d’Alien ou en présage à The Descent). Au bout de quatre-vingt-six longues minutes, le spectateur patient, endurant, obtiendra pour unique récompense de sa persévérance, amatrice de métaphores horrifiques, un duo à l’écho préhistorique et tératologique, incarnation paupérisée de l’insanité de père en fils (prophétie de Shining), le fils monstrueux, promis à un trépas dans les flammes, en rime à la progéniture obscure de Phenomena, au prisonnier affamé (de chair anthropophage) de Castle Freak.


Tueurs en série sur deux générations, deux ans avant la tribu des tordus de Massacre à la tronçonneuse, nos larrons, velus et cyclopéens, assassinent depuis une trentaine d’années les inconscients venus s’encanailler au pied de la bite endurcie, antre de la folie noyé dans un brouillard économique davantage qu’évocateur (La Tour du diable révèle un filmeur ; en matière de réalisateur et d’auteur, on renvoie vers Carpenter, pas seulement au temps de la Toussaint). L’épouse maternelle apparaît flanquée de son mari, futur furieux cinglé entiché de sa Martha, voilà, voilà (et frère du pêcheur menteur du début, fils du vieux marin trucidé par la mijaurée hystérique, assommée, plan rougi à la Marnie, embarqués à bord du Sea Ghost, diantre, vous continuez à comprendre ?), sur une photographie en noir et blanc, effarée par son bébé sans doute déjà atteint du lourd héritage congénital. Elle paiera de sa vie le prix de son silence, de sa complicité passive, assise dans un fauteuil emprunté à Norma Bates, bien sûr, momie verdâtre et puante découverte par Nor(m)a, briseuse de couple destinée à se briser le cou via un vol plané à la renverse depuis le sommet de l’édifice (arrivée sur les rochers, elle se fige enfin, jambes explicitement écartées, reprise de sa position avec l’étalon juvénile et craintif, John Hamill, sous peu recruté pour Hardcore, tel un ersatz pasteurisé de Joe Dallesandro, quand elle griffait son dos afin qu’il la laboure mieux, plus fort et plus profond, mon garçon). Du lit au tombeau, il suffit de descendre dans les catacombes naturelles, d’y aviser, allègre, une caverne d’Ali Baba (horreur de Jacques Becker) hélas placée sous le signe de Baal, naguère dieu de la fertilité transformé en divinité infernale par les tartufes de la chrétienté.

Mal écrit (Georges Baxt, romancier papa d’un privé gay, signa le scénario du drolatique et réussi Cirque des horreurs, son travail se vit ensuite repris, tripatouillé, par le méprisant Mister O’Connolly), mal joué (circonstance atténuante : comment animer des pantins tout sauf pirandelliens ?), plombé par un risible esprit de sérieux (Mario Bava pratiquait une constante ironie rageuse dans sa matricielle Baie sanglante à lui, massacre en chaîne à l’arrière-plan marxiste-darwinien) et une partition à l’unisson (commise par Kenneth V. Jones), soulignant chaque effet (spécial, banal), propre à faire passer le vigoureux James Bernard (compositeur du bestiaire de Terence Fisher) pour un modèle de délicatesse à la dentelle, Tower of Evil, tourné en trente jours en studio, bénéficie, ouf, de la belle lumière de Desmond Dickinson, autrefois peintre inspiré des mésaventures existentielles du petit ami d’Ophélie selon Laurence Olivier (retour à la pourriture danoise, donc, et le Dogme peut aller se faire démettre), du montage alerte, bien monté, pour ainsi dire, de Henry Richardson (Octopussy ou Runaway Train). Les plus obsédés se consoleront idem avec la poitrine naturelle et les fesses mouillées de la brune Candace Glendenning, le charme MLF et SM de la blonde Anna Palk (aperçue dans Fahrenheit 451 ou Le Corrupteur) ; les plus sentimentaux s’émouvront à la fade douceur de Jill Haworth (trouvaille de Preminger) ; les plus cinéphiles penseront davantage à la désargentée Amicus qu’à la flamboyante Hammer, se souviendront du hollywoodien George Coulouris ; les plus interprétatifs aborderont l’opus en pièce de sociologie, en passage d’une époque à l’autre, d’un « genre » au suivant, du fantastique vers l’horreur, dans le contexte permissif et répressif de la décennie, dans les codes et les métamorphoses d’une imagerie à la fois agressive et puritaine, sinon victorienne.


Albion, Brexit ou non, patrie censurée des vidéos classées nasty, de Carnaby Street sous peu ripolinée par le thatchérisme, du réalisme supposé social mâtiné des excentricités d’un Ken Russell, ne s’amouracha jamais vraiment de gore ni de lubricité, souvenons-nous du sort de bouc émissaire essuyé par le pauvre Michael Powell (et Leo Marks aux manettes, dans l’ombre d’un ancien espion) à l’occasion de la sortie du supérieur Voyeur (l’international Jack Watson en point commun). L’Angleterre ne devint pas non plus une annexe de l’AIP de Corman, Nicholson (James, pas Jack) et Arkoff (le De Palma de Sœurs de sang en guest star), n’en déplaise à l’épicier, pardon, au producteur Richard Gordon (de surcroît accoucheur de l’allégorie stellaire et ovulaire de Norman J. Warren mentionnée supra). Soigné et raté, insipide et presque ludique, dispensable et relativement honorable, La Tour du diable identifie une veine anémique, anémiée, une façon de concevoir et de faire du cinéma terriblement datée, caduque dès son avènement. Le frisson à l’anglaise s’en remettra, notre rétine itou. Et si, malgré tout, vous prenait l’envie (de copuler) de revisiter l’espace solitaire (à l’image du plaisir) des éclaireurs (de malheur) des mers, conseillons en coda de ne pas s’aventurer auprès de L’Équipier, purge de Philippe Lioret (en dépit de Sandrine Bonnaire, rayonnante), ni dans les parages de Shutter Island (Scorsese relit Caligari, on s’assoupit), de choisir, allez, de déplier la maison maritime, intime, en papier, de Paperhouse, « phare » du « septième art » bâti par Bernard Rose, d’ailleurs célébré sur ce blog par votre guide insulaire, notoirement (néanmoins) épris de la (bonne) culture d’Angleterre.

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