Barrages, l’eau sous haute tension : Aquarela, l’odyssée de l’eau
Faire barrage aux ravages du marchandisage…
À Michel, avec mes
remerciements
La menace mondialisée du virus corona ne vous suffit pas ? Voici donc la faillite d’EDF, de
ce qu’il en reste. Durant une heure vingt assez alerte, ce « point de vue
documenté », comme jadis Jean Vigo disait, s’avère une démonstration de
déraison. Les spécialistes, pas seulement syndicalistes, s’expriment,
dépriment, leur discours didactique converge vers un désastre annoncé, redouté,
redoublé, puisqu’au risque représenté par le privé, par le boursier, s’ajoute en
sus celui du médiatique « réchauffement climatique » et de ses
conséquences clivantes, SOS de sudistes fissa assoiffés à la sauce hispanique.
En réalité remémorée, il s’agit ici d’une ancienne histoire, d’espoir après le
désespoir, de Résistance politique et de résistance électrique, cf. la séquence
consacrée à Marcel Paul & Pierre Simon. Barrages, l’eau sous haute tension (Nicolas Ubelmann, 2020) s’apprécie ainsi en petit précis
parallèle, en récit de finance et de France. A contrario de Aquarela, l’odyssée de l’eau (Victor
Kossakovski, 2020), à la différence de Hold-up (Pierre Barnérias, 2020), ce
métrage sur l’avenir des barrages, voire leur naufrage, lui-même victime
collatérale, en salle, de l’épuisante pandémie Covid, se dispense de l’épique,
du complotiste. Certes, il repose, sinon expose, sur une sensibilité
anticapitaliste affirmée, assumée, évacue la contradiction, jusqu’à dissoudre
sur la bande-son la défense dérisoire, illusoire, du VRP de l’UE, la « concurrence »
martelée, recommandée, décrétée, devrait in
fine bénéficier au « client », à « l’usager », lexique
explicite, intitulé rectifié. Le « documenteur » apocalyptique précité
relisait Marx en mode médical ; l’exposé sobre, apaisé, ensoleillé, souligne
les vertus et les vices d’une entreprise de « service public »
devenue, au fil liquide des décennies successives, le générique le regrette in extremis, une « société anonyme »
guère magnanime, dont l’assourdissant silence lui sert de complice éloquence.
En résumé, rien de changé, depuis le
prophétique et tragique diptyque Manon des Sources + Ugolin
(1952) de Marcel Pagnol : l’eau, partout, toujours, oui ou non utilisée en
situation de « monopole », nous affole. Enjeu géographique,
économique, hydraulique, elle renvoie évidemment vers l’énergie, vers son
réseau, son « dispatching », sa dystopie. Quid d’un blackout, d’une
obscurité soudain généralisée, s’interrogent, de manière pas si rhétorique, les
intervenants bienveillants ? Les cinéphiles possèdent une réponse, se
souviennent aussitôt de la coda sarcastique du Los Angeles 2013 (1996)
de John Carpenter. Snake Plissken, anarchiste altruiste, y soufflait en replay la fameuse allumette d’un
émissaire légendaire, suicidaire, immortalisé au ciné par le Lawrence
d’Arabie (1962) de David Lean. À la suite de l’aube, la nuit des
hommes… Débuté à l’identique, via une
flamme miniature, un foyer apprivoisé, Barrages, l’eau sous haute tension ne
survole son sujet, se montre économe en plans en drone, alterne les témoignages sans prendre le spectateur en otage.
Il recourt à des archives nationales, internationales, il ne cherche à démolir
le moral, à donner dans le fatal. Ni anxiogène ni obscène, structuré,
structurant, il s’achève cependant sur le terme « délirant ». Les
délires propices au pire et les dérives à extension homicide de l’argent, de
ses puissances, de son arrogance, on les connaît, on les reconnaît, pas
vrai ? Tel Légion, elles disposent de plusieurs noms, elles se moquent des
ministres puis des présidents, surtout d’un certain Emmanuel Macron, non ?
En 1977, en Italie, le molto catho Alberto De Martino délivrait l’eschatologie de son
Holocauste
2000. Un an avant d’affronter un second fiston selon le Furie
(1978) de Brian De Palma, feu Kirk Douglas y livrait déjà un conflit œdipien,
fichtrement freudien, car géniteur, Seigneur, d’un Antéchrist very vénère, adepte diabolique de
l’incendiaire nucléaire.
On perçoit en sourdine, au sein point malsain de l’item laïc, à « financement participatif », quelque chose de cette terreur technologique, archaïque, quittons en conclusion le problématique, optons pour le poétique. Ouvrages majestueux et dangereux, les barrages au génie humain rendent hommage, peuvent pourtant provoquer de spectaculaires dommages. À l’instar de nos corps, contaminés, pas encore, il convient de les « ausculter », de les entretenir, de les rétablir. Ce qui se joue devant vous, au sommet bétonné de ces forteresses en détresse, excède la sphère du fric fatidique et réactive un brin le sublime kantien, le délocalise, l’humanise, mélange le délice à l’hubris. Ces humides murs, soumis à l’usure, à l’imposture, défis à la solidité, à la rapacité, abritent en définitive davantage que des lacs patraques, désormais souvent à sec, constituent les réservoirs d’un rêve égalitaire, d’une société plus solidaire, quitte à critiquer le contradictoire et discutable statut de « fonctionnaire ». Au carrefour de l’économie et de l’écologie, ils permettent la quotidienne magie, d’un interrupteur, de la chaleur, à bien moindre mal que les nocives centrales. Face à l’éolien, incertain, au solaire, parcellaire, l’électricité aquatique ressemble aussi à une ambroisie excitant tous les appétits. Saurons-nous, disons dans trente ans, ne pas nous en montrer trop gourmands, trop dépendants, par sa privatisation programmée privés ? Barrages, l’eau sous haute tension pose la question, s’en remet à notre conscience, à notre bonne volonté. Le contexte expliqué, à toi, à moi, à présent, dessillés, de décider, d’observer, de sauvegarder, CQFD.
Les auteurs sur Messenger, le 13 et le 14 décembre 2020 :
RépondreSupprimer- Whoua !! Etre dans les mots clefs au coté de Carpenter et Pagnol, la classe !! Merci pour ce bel article et cette belle plume. J'ai essayé de donner le contre point aux sois disant bénéfices de la privatisation vantés par les marchands d'énergie. Et d'être clair comme vous dites sans basculer dans le fatalisme et le complotisme. j'ai essayer de montrer que le modèle EDF est un modele de société inspiré de la résistance, ce qu'ignorent la plupart es français. Mais vous avez bien résumé tout ça, a nous de dicder maintenant que nous savons!.
- Merci à vous, surtout ! Au plaisir de vous recroiser, en amont ou en aval de cette "question de société(s)", en effet…