Les Griffes de la nuit : Fred
Hymne à la joie ? Hymen d’effroi…
Sur le fond de mes nuits Dieu de son
doigt savant
Dessine un cauchemar multiforme et
sans trêve.
J’ai peur du sommeil comme on a peur d’un grand trou,
Tout plein de vague horreur, menant
on ne sait où ;
Baudelaire, Le Gouffre
Le conte de culpabilité de Craven
s’ouvre sur une scène malsaine signée Dan Perri, title designer de L’Exorciste (Friedkin, 1973), de sa
risible suite L’Hérétique (Boorman, 1977), de La Main du cauchemar
(Stone, 1981), Dream Lover (Pakula, 1986), L’Amie
mortelle (Craven, 1986), des Griffes du cauchemar (Russell,
1987), du Cauchemar de Freddy (Harlin, 1988), de Jusqu’au bout du rêve
(Robinson, 1989), Color of Night (Rush, 1994) ou du récent remake de Suspiria
(Guadagnino, 2018). Le collaborateur régulier de Scorsese nous projette aussi
sec à l’intérieur qui fait peur de la psyché ensommeillée de la très tourmentée
Tina qu’incarne Amanda (Wyss). N’en déplaise à ses adorateurs, disciples sinon, pas de Robert Englund à l’horizon, puisque
cette fois-ci, Charles Belardinelli, spécialiste des effets spéciaux, expert ès
gant à lames mortifères, se déguise et discrètement s’immortalise en mémorable
croque-mitaine molto asthmatique. S’il convient de saluer vite le beau boulot
du fidèle directeur photo Jacques Haitkin, soulignons surtout l’importance du
son, c’est-à-dire de la dizaine d’hommes et de femmes officiant au sound departement, idée idoine, étonnante, cohérente, de donner à
entendre un agneau biblique et symbolique au cœur sans sauveur de ce noir
couloir d’abattoir. Dans deux décors évocateurs conçus par l’éphémère production designer Greg Fonseca, à la mémoire duquel Craven, sillage d’une
décennie, dédiera son Freddy sort de la nuit (1994) à lui,
se déroule donc une variante graphique, onirique, de l’éternelle lutte entre le
chat et la souris. Libre à la chère Heather (Langenkamp), adolescente
survivante de combiné cunnilingué, de baignoire masturbatoire, de lire Les
Griffes
de la nuit (1984) en film féministe, on retient et revient sur sa
dimension freudienne, son sous-texte méta, ses métaphores sociales, en résumé, l’ensemble
de ses différences d’avec le ludique et anecdotique Dreamscape (Ruben, 1984),
divertissement d’antan bien manichéen en correspondance spielbergesque, because Kate Capshaw + cœur arraché, olé
(Indiana
Jones et le Temple maudit, 1984), accessoirement matrice apocryphe du
davantage sérieux, à Eurydice auteuriste, Inception (Nolan, 2010).
Escorté par les notes ad hoc du synthétique et sympathique Charles Bernstein, « Fred Krueger » s’affaire, atelier torturé, artefact effroyable, en artisanale rime à
domicile aux instruments chirurgicaux marteaux des jumeaux gynécos de Faux-semblants
(Cronenberg, 1988). Cerné par l’obscurité de l’écran riquiqui, réduit à des
parties de son anatomie, l’enflammé enfile ses griffes infernales et le titre
du film surgit à l’instant en blanc et rouge sang, dichotomie jolie, innocence versus souffrance. L’outil maudit,
surplombé par un cri, déchire une triple toile, celle du rêve, de l’item, de l’hymen. Blonde inquiétée cadrée devant un fond abstrait, immaculé,
appréciez le raccord axé sur ses tendus traits, Tina semble traverser à pied,
chemise de nuit amochée, un ersatz utérin, vapeur comprise, d’humidité doté, du
célèbre et rassurant conduit d’au-delà des NDE. En subjective vérité, en
réalité cauchemardée, en copie de l’écarlate chaperon relookée, elle subit la
poursuite invisible de son diablement méchant loup relou à elle. Prénom
prononcé, bestiole affolée, rire retenti, on passe fissa à un autre ici :
ça chauffe à la chaufferie, les ami(e)s ! Suivie en POV, au steadicam chaloupé, par la débutante
Elizabeth Ziegler, ensuite opératrice panaglide
pour Vampire,
vous avez dit vampire ? 2 (Wallace, 1988), plus tard embauchée sur Eyes
Wide Shut (Kubrick, 1999), encore un film mental, de dessillement
traumatisant, de sexualité perturbée, Tina entrevoit les gros tuyaux d’une usine
de déprime, où perdre avec violence sa virginité convoitée. Condamnée à
succomber en culotte propre sur son lit d’agile agonie, trépas spectaculaire
associant subito presto les délices
surréalistes de Mariage royal (Donen, 1951) et les supplices intrusifs de L’Emprise
(Furie, 1982), la rêveuse malheureuse ne possède hélas aucune issue de
secours contre un adversaire very
vénère capable, en passe-muraille rancunier, en ex-meurtrier de gamins par des parents remontés immolé, de se
moquer des limitations d’une prison ou de la minceur d’un miroir.
Tout ceci, cette traque patraque, ce déversement nervalien du songe, du mensonge, au sein du désir, à proximité du pire, le parfait
contemporain Body Double (De Palma, 1984) va idem le mettre en scène, au carré, claustrophobie de passage
souterrain et masque de vrai-faux Indien inclus. Fable sur les frontières, sur
la Frontière, sur un faisceau d’assassinats fondateurs, celui du futur
« Freddy », d’un certain JFK, accompli sur Elm Street, souviens-toi, par
prolongement possible, métonymie étasunienne, celui des natives décimés, évincés, Les Griffes de la nuit radiographie
ainsi le blues de la banlieue, son
insanité WASP à peine dissimulée, vive le bien nommé retour du refoulé,
territoire mouroir déjà/bientôt éclairé a giorno par les sarcastiques La
Dernière Maison sur la gauche (1972), Le Sous-sol de la peur
(1991) et Scream (1996), annonce le tueur en série, némésis
dématérialisée, de l’électrique et onirique, bis, Shocker (1989). Moraliste jamais moralisateur, Craven sonde la
part sombre de son pays et de sa progéniture impure, terrorisée par un Ça de
bon aloi, non assistée par un Surmoi aux mains sales, à l’amnésie complice de légitime
défense à offense, chaud lynchage. L’ultime scène, anxiogène et cartoonesque, coda
de comptine, de corde à sauter, écho à Carrie (De Palma, 1976) déterrée,
valide in extremis, via une tombale
automobile, un matricide drolatique, la victoire du mauvais rêve, du danger
idiosyncrasique de la maisonnée US, au creux guère miséricordieux de laquelle Saturne, aka l’Oncle Sam, ne se contente plus de dévorer vifs ses impuissants
enfants, revisitez le tableau de Goya, oui-da, repensez à L’Emprise des ténèbres
(1988), ses zombies à Haïti, ses
séides de dictateur, en sus les sacrifie sur l’autel matelassé d’une
artificielle tranquillité, d’une pathologique promiscuité. Presque quarante ans
après, ce « cauchemar sur Elm Street » au titre original explicite,
polysémique, à mérité succès, conserve, CQFD, la puissance poétique et
politique de sa lucidité.
"Charles BAUDELAIRE (alias Jean-Pierre JORRIS)" :
RépondreSupprimerhttps://www.dailymotion.com/video/xf90ks
Comédien croisé chez Żuławski & Gens ; sinon, démonstration d’éducation selon Ardisson…
SupprimerL'effet Ardisson il n'y a pas grand chose à ... mais l'acteur est assez fascinant dans son rôle à minima de double jeu, quand à Baudelaire et son gouffre, la syphilis étant ce qu'elle est, cette grande ravageuse de face...à face de charogne...
Supprimerhttps://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1996_num_26_94_3161