Jeunes filles en uniforme : Citadel

 

Suite à son visionnage sur le site d’ARTE, retour sur le titre de Géza von Radványi.

Après de Jacqueline Audry la Olivia (1951), voilà de Géza la Manuela. Jeunes filles en uniforme (1958), on le sait, retravaille, à presque trente ans d’intervalle, le matériau déjà en huis clos, un gros soupçon Sappho, de Jeunes filles en uniforme (1931), signé par Leontine Sagan, co-écrit par Christa Winsloe, à la suite de sa pièce à succès. Il fait toutefois davantage, il met l’ouvrage à la page, puisque le portrait à charge de cette suspecte éducation à la prussienne, un brin lesbienne, se souvient aussi du récent nazisme, de son conformisme, de son militarisme, de son hypocrisie, de sa misogynie. Ici, au gris de la grande grille introductive, des habits, des esprits, s’accorde le glauque très teuton, à la Derrick disons, des chaises, portes, armoires, repeintes à la Wehrmacht, de quoi vous rendre patraque, y compris à proximité d’un lac. Pourtant, en dépit du pas de l’oie, un, deux, pas trois, les pensionnaires, bien peu « dépravées » en vérité, ne ressemblent à des oies, blanches ou pas, loin de là. Ce vrai-faux remake se remarque ainsi en raison de son casting choral, féminin à fond, à l’appréciable unisson, bien servi par des silhouettes honnêtes, jamais simplettes. Si Lilli Palmer & Romy Schneider séduisent, sidèrent, subtiles, sincères, le reste de la distribution ne démérite, chic, mention spéciale à la surprenante Marthe Mercadier, maîtresse de maintien, de dramaturgie, en société, sur scène, en français, en allemand, quel talent. Les cinéphiles certes reconnaissent une autre Française, Paulette Dubost en cuisinière « courageuse », en rhum généreuse. La cuisine, toutes ces demoiselles, de dite bonne famille, doivent donc y servir, voici leur avenir, assorti des mouflets à satiété, des missels éternels.



Tenus hors-champ, bientôt sur le champ, de bataille, de funérailles, de la Première Guerre, pas la dernière, mondiale, les hommes, remplacés par leurs austères statues, apparaissent sur un piédestal, en armure astiquée contre l’usure, voire la luxure. « L’ordre et la discipline » sévissent, la diurne camaraderie et la bise au seuil de la nuit les adoucissent. On cite Bismarck, on vante le travail, on veut que rien ne déraille, le  train-train du quotidien hautain, visite express d’une « Altesse » de mes fesses, conduit droit aux trains filant fissa vers Auschwitz, reprise d’une devise de supplice. Avec ses allures de camp de concentration à kapo maton, point portée sur les chansons, à chemises de don, d’émotion, de trahison, à costumes de saison, de révélation, de « scandaleuse » et alcoolisée sensation, l’institution de coercition de Jeunes filles en uniforme évoque en version soft, sans effort, une sinistre réalité qui se remémore encore. La morale du métrage, sinon de la fable affable, au gynécée d’actualité, au présent, au passé, au diable les mecs dépeuplés, décérébrés, armés, massacrés, s’affirme en double message, pas langage : non à la reproduction, sens ovarien, bourdieusien, à la soumission ; oui à l’individualisation, à l’élévation, car la maternelle « Mademoiselle » élève ses élèves, s’élève ou chute avec elles. Au sommet de son escalier, presque à la Żuławski possédée, Manuela ne saute pas, elle s’effondre à nouveau, elle survivra, elle sourira, complice coda. Son chemin de croix, suicidaire, stellaire, solidaire, escorté d’une prière, la caméra, par ailleurs précise, attentive, mobile, l’accompagne et l’accomplit dotée d’une discrète virtuosité, notez la grue bienvenue, les panoramiques athlétiques, le plan-séquence de souffrance.



Rétif au manichéisme, préférant la comédie dramatique au didactisme mélodramatique, Jeunes filles en uniforme, souvent amusant, toujours stimulant, informe et réconforte, fait confiance à la confiance, à la conscience, à la présence puis à l’absence, dialectique pédagogique. Il annonce bien sûr La Résidence (Narciso Ibáñez Serrador, 1969), effroyable conte de fées défaites à Frankenstein franquiste, il remate les marches de M le maudit montées par Lang en 1931, infanticides et datées, de façon à la fois similaire et différenciée. Face au ressassement et au ressentiment des par procuration parents, les orphelines estimées trop sensibles, pas suffisamment dociles, les filles en exil, ensemble survivent. Dans le Metropolis (1927) de Thea & Fritz, bis, la poignée de main finale, entre le prolétariat et le Capital, passait assez mal, sut plaire au pseudo-socialiste Hitler, tandis que dans Jeunes filles en uniforme, la directrice à la trique, cardiaque, symbolique explicite, prend celle de la pucelle, joli geste dépourvu de pathos, brève tendresse de la triste et donc endurcie féroce. Afin que cède in fine la « citadelle » matriarcale, impitoyable, usine guère magnanime d’épouses à soldats, révère la révérence, oublie la désobéissance, il fallait un risque létal, un élan bienveillant. Bien éclairé par Werner Krien (Les Aventures fantastiques du baron Münchhausen de Josef von Báky, 1943 ou La Paloma de Helmut Käutner, 1944), bien dirigé par l’auteur du valeureux C’est pas toujours du caviar (1961), en partie produit par l’incontournable Artur Brauner, la co-production tout sauf concon, des meilleurs ennemis depuis une trilogie de conflits, par conséquent méritait son exhumation, maintenant mes salutations.             


Commentaires


  1. "Monica Vitti ha invitato a casa sua Romy Schneider e Alain Delon. Romy e venuta a Roma a trovare il fidanzato che lavora con La Vitti nei film "L'Eclissi". le due attrici si divertono un po'
    alle spalle di lui: "eccolo, il fidanzato " terribile che non si decide mai a fare il gran passo!" sembrano dire."
    https://jacquelinewaechter.blogspot.com/2010/01/vittiun-po-della-sua-vita.html

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