Jésus de Montréal

 

Un métrage, une image : Le Chat dans le sac (1964)

Merci à Jacqueline Waechter

« Je vénère Jean Vigo » : et davantage Godard ou le Resnais de Hiroshima mon amour (1959), pour faire court. L’opus pionnier, in situ récompensé, aujourd’hui disponible en ligne, cinéphilie à domicile, s’éternise durant une heure quinze, au cours de laquelle ça discourt à la truelle, ça se sépare en douce(ur). Barbara & Claude incarnent Claude & Barbara, regardent la caméra, s’unissent au lit, y fument et s’y bousculent aussi. Presque au mitan des années 60, on faisait ainsi du ciné francophone placé sous le signe de la sociologie, situé de l’autre côté enneigé, fatidique, de l’Atlantique. L’histoire du couple en déroute, scruté par Gilles Groux, reflète à sa façon de documentaire distancié, un brin brechtien, maître du dispositif formel et maître (Puntila) au sein du récit, via la division d’une identité, la scission d’une société. Le journaliste désargenté croyait trouver en la Juive anglophone et accentuée une compagne moins de cœur que d’altérité, une sorte de consœur colonisée. Hélas, il terminera de monologuer, de parcourir son triste courrier, assez esseulé, en pleine ruralité. Cartons programmatiques, expérimentations sur le son, surcadrages, avec ou sans miroirs, profondeur de champ, saisie de l’instant, caméra portée + TV publique à monnaie, reportage sur un spectacle perçu en « naissance d’un nouveau folklore de l’aliénation », allons bon, et même Montréal by night, l’ensemble assaisonné de locale laïcité, de « séparatisme » encaserné, escorté par Coltrane, Couperin, Vivaldi, voui – l’errance de Claude, ses stations de saison, son problème privé de solution, en dépit de l’incitation de son supérieur à se confronter enfin au réel, à ne plus se satisfaire de son autarcie jolie, alanguie, tout ceci excède le Canada, ma foi, cristallise un malaise existentiel conduisant à l’acmé de Mai 68. Moins dépressif que le tandem parisien Perec & Queysanne de la décennie suivante (Un homme qui dort, 1974), le cinéaste lucide dévoile la dérive d’un dilettante désenchanté.

Commentaires

  1. Un bien joli résumé pour un film qui mérite le détour, au pays des longs hivers blancs, chacun cherche son chat, croit trouver l'amour alors qu'au final les motifs qui guident et l'un et l'autre sont peut-être tout différents, l'une nomade est prête à perdre son accent pour s'assimiler et en prendre un autre, lui veut rester entier, plus fidèle à la terre natale, qu'il aime plus que tout au monde...
    Grand merci pour la dédicace !

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