My Dinner with Andre : Bienvenue à Bourvil(le)

 

Anti-alcoolisme d’irrésistible causerie ? Souvenirs virés vers la vie…

À Jacqueline

Tel l’admiré-démarqué Fernandel, remember La Cuisine au beurre (Grangier, 1963), pourtant pas la meilleure, puisque insipide, déceptive, y compris pour le principal intéressé nordiste, dégage, dommage, Bourvil débuta sur scène, s’y fit un (re)nom, plutôt un prénom, piqué-corrigé à un village local de sa Normandie maternelle et natale. Parents paysans, mariage juvénile, passage par l’armée, boulots à gogo, succès des Crayons au sortir de la seconde hécatombe, ensuite reprise, filmée, immortalisée, parmi La Ferme du pendu (Dréville, 1945), puis persona paysanne, opérettes en duo avec la rapprochée Pierrette Bruno, valeureux virage de La Traversée de Paris (Autant-Lara, 1956), duos avec Brigitte Bardot (Le Trou normand, Boyer, 1952), Luis Mariano (Le Chanteur de Mexico, Pottier, 1956), Jean-Paul Belmondo (Le Cerveau, Oury, 1969), tandems avec un certain Jean Gabin (traversée parisienne précitée, Les Misérables de Le Chanois en 1958), Jean Marais (Le Bossu + Le Capitan, 1959-1960, diptyque de Hunebelle), of course Louis de Funès (Le Corniaud + La Grande Vadrouille, 1965-1966, Oury), rencontre(s) avec Mocky (Un drôle de paroissien, 1963 ; La Cité de l’indicible peur, 1964 ; La Grande Lessive, 1968 ; L’Étalon, 1970), supposés contre-emplois de bon aloi du Miroir à deux faces (Cayatte, 1958), de Fortunat (Joffé, 1960), des Grandes Gueules (Enrico, 1965), de L’Arbre de Noël (Young, 1969) et enfin consécration, assortie d’une officialisation du prénom, du Cercle rouge (Melville, 1970), avant la coda du davantage anecdotique, au tournage toutefois héroïque, Le Mur de l’Atlantique (Camus, idem) : tout ceci, su de tous, pour (re)dire que l’acteur/chanteur, accessoirement musicien militaire, vaincu par le cancer, à peine à la cinquantaine, ne perdit pas son temps, croisa des gens de talent, en sus s’activa au théâtre, médecin de Romains dirigé par Jean-Louis Barrault, illico à la radio, quand ce média-là donnait encore dans les « dramatiques » radiophoniques, Welles et ses Martiens américains acquiescent.


Comme je n’écris par nostalgie, divers défauts sans doute me possèdent, pas celui-ci, Dieu merci, je pose et réponds à présent, au présent, à une question tout sauf concon, contrairement à son célèbre « imbécile heureux » cité par le biographe Bessy, Welles, bis : que reste-t-il de Bourvil en 2020, millésime malsain, minable année contaminée, immobilisée, masquée, que personne ne regrettera, en tout cas pas moi ? Au-delà du CV vite résumé d’un artiste lucide, d’un interprète complet, au propre, au figuré, partition, pièce, script, d’une personnalité incontournable, indispensable, renommée, récompensée, dont en salles le succès colossal, durant presque trois décennies, semble bien surréaliste aujourd’hui, autre époque, autre troc, production et distribution en effet différentes, marché changé, public peu à l’identique, il demeure, a fortiori pour le cinéphile, mélomane assumé, l’essentiel, c’est-à-dire une multitude de titres, un répertoire personnel, pluriel, de chansons et de films. La psychologie m’épuise, la risible sociologie aussi, je me limite ainsi à flâner au sein de sa filmographie, je constate qu’il collabora, quel éclectisme, nique à l’auteurisme, avec Clouzot (Miquette et sa mère, 1950), Guitry (Si Versailles m’était conté…, 1954), Marc Allégret (Un drôle de dimanche, 1958), Clair (Tout l’or du monde, 1961), Annakin (Le Jour le plus long + Gonflés à bloc, 1962-1969) ou Christian-Jaque (Les Bonnes Causes + Guerre secrète, 1963-1965). Côté microsillon, La Tactique du gendarme, in fine chantonnée sur le set du Cercle, s’associe bien sûr à la sucrée Salade de fruits, copiée par l’amie Annie Cordy, adoubée par Roberto Alagna, oui-da, vinyles variés d’un mec cultivé, courageux, capable de saluer Balzac avec tact (Monsieur Balzac), de déconner, encanaillé, en compagnie de l’immanquable Jacqueline Maillan, alors qu’il combat le Crabe au même moment (Ça + Pauvre Lola), Serge Gainsbourg, qui lui-même s’entendit très bien avec Gabin, pas que sur le plateau du Pacha (Lautner, 1968), dut s’en amuser.



Il sut également émouvoir devant un micro, en duo, en solo, filez écouter en ligne magnanime la sentimentale Je t’aime bien avec Pierrette, la belle Ballade irlandaise, la bouleversante C’était bien, la douce-amère Mon frère d’Angleterre, estimable cover de l’Auvergnat Murat, la sagesse de La Tendresse, vite retravaillée par la magnifique Marie Laforêt, l’optimiste, n’en déplaise au pessimiste Pialat, Nous vieillirons ensemble, ou le foyer secret des Girafes cogitée par le doué Michel Berger, Jacqueline opine. De la MGM le Mayer, porté sur le parallèle céleste, assurait que son studio disposait « de plus d’étoiles que le paradis », pardi. Se doutait-il que les stars, d’astronomie, de cinématographie, décèdent aussi, que l’on aperçoit, en raison de la distance, leur spectre à distance ? La caméra, le micro, médias d’aussitôt, de tombeau, carburent à cela, à cette mélancolie de l’inaccessible et de l’ici, machines à découdre, amitiés à Mocky, destinées, en simultané, à inhumer, à immortaliser – la littérature traduit, la peinture vampirise, relisez Le Portrait ovale de Poe – celles et ceux qui se risquent, altruistes ou narcissiques, à s’y risquer, à les utiliser. Et les classés comiques, on le sait, le seuil de l’intimité passée, s’avère souvent dépressifs, sinon déprimants… Pour les femmes et les hommes de mon temps, de maintenant, étirés entre deux siècles, témoins d’une modernité agréable, abjecte, Bourvil conserve son aura, son quant-à-soi, acteur majeur qui rit, fit rire, n’éprouva pas de peur à verser, à faire verser, des pleurs. Jamais mélodramatique, même au secours du supra gamin de sapin, pour lequel ça sent le sapin, maudite leucémie, intimité de l’ennemi ; pas un instant cynique, je me moque de toi et donc de moi ; parfois certes sarcastique, merci Mocky, voire mutique, étonnante « corsitude » selon Melville, commissaire de moi-même homonyme, mince, à félins un brin deloniens, il s’apprécie en acteur majeur, précis, épris de défis, fuyant la facilité.

Il paraît que l’humour s’apparente à la politesse du désespoir : en remède délectable et dérisoire à la tristesse intrinsèque de nos existences, processus de démolition(s) en série, Fitzgerald ne me contredit, Bourvil, au cours guère au long cours de sa carrière exemplaire, opposa sa sienne tendresse, sa sienne noblesse, de type simple et complexe, de malade discret, cédant à la pornographie d’autrui les gros trémolos d’une victimisation de saison. La Nouvelle Vague l’esquiva ? Avec les déterminées, déchirantes et chères Annie Girardot & Romy Schneider, praticienne puis patiente de ciné (Docteur Françoise Gailland, Bertuccelli, 1976), cancéreuse rénale de réalité, il ne tourna ? Pas grave, et la sous-estimée Michèle Morgan du Miroir à deux faces, de Fortunat, vraiment me va, voilà. Au cimetière de Montainville, dans les Yvelines, sa sépulture presque anonyme, pèlerinage fatal d’épouse conductrice, fichtre, ne contient rien, hormis les cendres de notre enfance et d’une France depuis longtemps, de façon définitive, enfuies, tant mieux, tant pis. L’André bien-aimé cependant survit, ravit, à travers son style, ses disques, ses films. Tant que de lui on se souviendra, qu’il nous invitera, de son corps, de sa voix, en direction de l’horizon, il ne mourra pas une deuxième fois, nous tous il réchauffera, de surcroît au creux de nos sociétés glacées, de nos écrans de néant. Adieu Dédé, vive Bourvil !        

Commentaires

  1. Tendre, émouvant, humain, merveilleux acteur singulier et universel à la fois
    chacun pouvait, peut, en lui se reconnaître... quelque part,
    merci pour ce très beau billet élégant et touchant, riche d'enseignement et d'anecdotes...merci pour la fleur de la dédicace aussi...
    Bourvil La tendresse https://www.youtube.com/watch?v=wEhw9AMYOoA&feature=emb_logo

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    Réponses
    1. Car Bourvil et vous le valez bien...
      https://www.youtube.com/watch?v=CrR-pJzvMQ0

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    2. Daniel Guichard interprète son titre "La tendresse" pour l'émission Discorama en 1972. https://www.youtube.com/watch?v=B7uWQWbYnbc

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    3. https://www.youtube.com/watch?v=QfX0WNjnmmk

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    4. La Tendresse - Maurane (L'aventure inattendue de...
      https://www.youtube.com/watch?v=f_R34WoiB4Y

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